Concilier droits distincts et droit à l’égalité

L’existence ou la reconnaissance de droits distincts pourrait sembler à première vue incompatible avec le droit à l’égalité inscrit dans nos chartes des droits et libertés.

Dans ce domaine, on confond souvent égalité et similitude. À cet égard, le texte même de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec nous aide à mieux comprendre le véritable sens qu’il faut donner au droit à l’égalité. Dans le préambule, il est indiqué que tous les êtres humains sont avant tout « égaux en valeur et en dignité ». On n’y indique donc nullement que tous les êtres humains doivent être semblables. Bien au contraire! Le respect des différences est à la base même de nombreux autres droits et libertés fondamentales, qu’il s’agisse du respect de la liberté de conscience, de la liberté des opinions, de la liberté de religion ou des croyances religieuses. Et le droit à sa propre vie culturelle est tout autant un droit de la personne qui peut notamment s’exprimer par un certain mode de vie relié à un territoire et à l’utilisation des ressources naturelles.

Credit photo: Photo : Pierre Trudel

Par ailleurs, les Autochtones ne sont pas des citoyens québécois et canadiens comme tous les autres. Ils ne l’ont jamais été au cours de l’histoire, tant sous le Régime français que sous le Régime anglais. Ils sont différents et il faut tenir compte de cette réalité incontournable dans l’interprétation que l’on doit donner au droit à l’égalité. Depuis 1982 en particulier, la Constitution canadienne indique clairement que les Autochtones forment des « peuples » et qu’à cet égard ils ont des droits collectifs. En somme, on ne saurait invoquer un droit individuel à l’égalité pour prôner leur assimilation ou leur nier le droit d’exister, le droit de se développer et de s’épanouir en tant que collectivités. La question des droits des peuples autochtones fait notamment l’objet de dispositions spécifiques dans la Charte canadienne des droits et libertés, élevant même au rang de droits et libertés, les « droits et libertés – ancestraux, issus de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada… » (article 25).

Un statut distinct depuis le régime français

Jusqu’en 1760 : Sous le Régime français, des « alliés de sa Majesté Très Chrétienne ». (Article 40 de l’Acte de capitulation de Montréal, 1760)
1763 : Sous le Régime anglais, des « nations et tribus » dont il faut assurer la « protection ». (Proclamation royale, 1763)
1867 : Dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, des « Indiens » et des « terres réservées aux Indiens », sous la compétence exclusive du fédéral. (Article 91.24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867)
1876 : Dans la Loi sur les Indiens, des pupilles de l’État sous la tutelle fédérale.
1935 : Dans un jugement de la Cour suprême, le terme « Indien » comprend « la race d’Esquimaux ». Par ce jugement, le statut des Inuits est précisé. Ils relèvent du fédéral mais demeureront expressément exclus de l’application de la Loi sur les Indiens.
1982 : Dans la Constitution du Canada et dans la Charte canadienne des droits et libertés « les Indiens, les Inuits et les Métis » sont des « peuples autochtones », bénéficiant de « droits ancestraux ou issus de traités ». (Article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés)
Sur la photo, l’exécutif de l’Association des Indiens du Québec, fondée en 1965. Debout : les chefs Daniel Vachon, Smally Petawabano et Harry Kurtness, Mlle Whiteduck, secrétaire, les chefs William Wysote, José Sam et Tom Rankin. Assis : les chefs Max « Oné-Onti » Gros-Louis, Andrew Delisle et Mike McKenzie.

Credit photo: W. B. Edwards, 1966, coll. Institut Tshakapesh

Ghislain Picard, originaire de la communauté innue de Pessamit sur la Côte-Nord, occupe depuis plus de 20 ans la fonction de Chef régional de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Credit photo: APNQL

À l’occasion des discussions entourant le rapatriement de la Constitution canadienne au début des années 1980, la Fraternité nationale des Indiens du Canada deviendra, l’Assemblée des Premières Nations, cette grande organisation que nous connaissons aujourd’hui et qui est composée d’associations régionales dont l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Credit photo: Archives nationales du Canada, PA 164775

Une reconnaissance internationale des droits des peuples autochtones

Selon l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), les populations autochtones à travers le monde comptent quelques 350 millions de personnes réparties dans plus de 70 pays. Elles représentent plus de 5 000 langues et cultures. Malgré leur nombre et la richesse de leur diversité, ces peuples se sont vu dénier leurs droits humains les plus fondamentaux. Ils étaient « les grands oubliés du droit international ». Toutefois, sur ce plan, les choses ont évolué rapidement depuis les années 1980.

Lors de son séjour à Genève en 1923-24, le chef Levi-General (Deskaheh) pose en compagnie des membres de la Commission des Iroquois, un réseau de soutien à sa cause. À droite, un membre de l’organisation tient dans ses mains le « wampum des voies parallèles », symbolisant un traité intervenu en 1634, entre Mohawks et Hollandais dans la vallée de l’Hudson.

Credit photo: Bibliothèque publique et universitaire, Genève. Phot. F. Martin

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les peuples autochtones des Amériques ont cherché à utiliser des recours internationaux afin d’obtenir justice. Les premières démarches ont pris la forme d’appels, de pétitions et de requêtes auprès des autorités impériales des différents pays colonisateurs. Régulièrement, à partir du XVIIIe siècle, des délégations et différents ambassadeurs autochtones se sont rendus à Londres. Ce fut le cas en 1825, du Grand Chef huron Nicolas Vincent avec trois autres chefs de la Jeune-Lorette. Ils rencontrèrent le roi Georges IV dans l’espoir d’obtenir gain de cause dans un litige relatif aux terres de la Seigneurie de Sillery. Malheureusement la responsabilité de régler ce litige fut renvoyée aux autorités locales. La création de la Société des Nations en 1919 semblait offrir une voie prometteuse. Nous avons vu cependant, dans Un objectif avoué d’assimilation, que le chef iroquois Deskaheh a tenté sans succès d’y faire entendre la cause de sa petite nation.

En 1945, la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) allait susciter de nouveaux espoirs. La Charte constituante de l’ONU affirme clairement le droit à l’égalité et à la liberté de tous les peuples et de toutes les nations grandes et petites, ainsi que la ferme détermination de mettre fin au colonialisme sous toutes ses formes. Les Nations Unies ont réguliè­rement reçu des plaintes d’individus ou de groupes autochtones alléguant des violations de leurs droits fondamentaux. Jusqu’aux années 1970 cependant, la porte leur a été systématiquement fermée. Le processus de décolonisation entamé par l’ONU au début des années 1960 a été restreint aux seuls territoires d’outre-mer, c’est à dire séparés géographiquement, et aux protectorats. C’est ainsi que le sort de nombreux peuples autochtones, ces « Nations à l’intérieur des États-Nations », allait échapper à tout contrôle international et relever du domaine sacré des affaires internes des États. (Voir Lepage, 1994)

Le 21 juin 2001, un regroupement d’organisations non-gouvernementales pressait le Gouvernement du Canada d’appuyer l’adoption, par l’Organisation des Nations Unies du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Invité à prendre la parole au cours de la conférence de presse tenue à Montréal, Kenneth Deer, de Kahnawake (sur la photo ci-haut), explique la signification du Wampum des voies parallèles, un symbole puissant du respect mutuel et de l’égalité entre les peuples. Ce collier de wampum représente les deux peuples acceptant de vivre côte à côte, dans la paix et l’harmonie, sans ingérence dans les activités de chacun.

Credit photo: Pierre Lepage

Le chef cri Ted Moses est le premier autochtone dans l’histoire des Nations Unies à avoir occupé la fonction prestigieuse de Rapporteur d’un séminaire auprès de la Commission des droits de l’homme. Il reçoit ici la médaille de la Société québécoise de droit international, des mains de Jacques Lachapelle alors président de la Commission des droits de la personne du Québec.

Credit photo: Félix Atencio-Gonzales, CDPDJ

Il faudra attendre au début des années 1970 pour qu’un intérêt marqué pour les questions autochtones se manifeste au sein des Nations Unies. La Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a réalisé une vaste étude sur la discrimination à l’égard de ces populations. Au terme de dix années de travaux, le rapport qui en a résulté est impressionnant et percutant comme en fait foi ce court extrait :

On a enlevé aux populations autochtones la plus grande partie de leurs terres, et celles qui leur restent font l’objet d’intrusions constantes. Leur culture, leurs institutions et leurs systèmes sociaux et juridiques sont constamment attaqués à tous les niveaux par les moyens d’information, les lois et les systèmes officiels d’enseignement. Il est donc tout naturel qu’elles se soient opposées à ce qu’on leur enlève encore d’autres terres, qu’elles rejettent toute déformation ou négation de leur histoire et de leur culture et qu’elles réagissent, par la défensive ou l’offensive, contre les agressions linguistiques et culturelles permanentes et contre les atteintes à leur mode de vie, à leur intégrité sociale et culturelle, voire à leur existence physique. Elles ont le droit de continuer d’exister, de défendre leurs terres, de conserver et de transmettre leur culture, leur langue, leurs institutions et leurs systèmes sociaux et juridiques ainsi que leur mode de vie qui font l’objet d’atteintes illégales et abusives.

Martinez Cobo, 1987 : 31

La création, en 1982, du Groupe de travail sur les populations autochtones, est l’élément le plus significatif de l’ouverture de l’ONU à la situation de ces peuples. Le Groupe de travail s’est attaqué rapidement à l’élaboration d’un projet de normes internationales. C’est ainsi qu’en 1993, il a mis la touche finale à un projet de Déclaration des droits des peuples autochtones en vue de son adoption éventuelle par l’Assemblée générale des Nations Unies. Entre-temps, l’Assemblée générale consacrait 1993 « Année internationale des populations autochtones » ainsi que 1994-2003, « Décennie internationale des populations autochtones ». Elle a également approuvé l’idée de créer au sein du système des Nations Unies, « une instance permanente pour les populations autochtones ».

Trente années d’efforts soutenus en vue d’une reconnaissance internationale, voilà qui méritait un dénouement heureux. Il est survenu le 15 septembre 2007 lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Les enjeux étaient importants puisque la déclaration reconnaît que les Autochtones constituent non pas des minorités raciales, ethniques, religieuses ou linguistiques mais bien des peuples libres et égaux à tous les autres peuples et qui « ont le droit à l’autodétermination » (article 3). En matière de développement des ressources sur les terres autochtones la Déclaration veut mettre fin aux politiques unilatérales des États. Son article 32, notamment, établit que les États sont tenus de consulter les peuples autochtones et de coopérer avec eux « en vue d’obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l’appro­bation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires… » (Nations Unies, Assemblée générale, 2007)

Dans un article paru dans la Revue générale de droit, l’avocat d’origine crie, Roméo Saganash précise ce que représente pour les Autochtones la reconnaissance du droit à l’autodétermination :

Il n’est pas nécessaire toutefois d’être un expert en droit international pour déterminer ce qu’est le droit d’un peuple à l’autodétermination. C’est fondamentalement le droit d’exister, de s’épanouir comme peuple et d’être respecté comme tel par les autres peuples. C’est l’équivalent, au plan collectif, du droit à l’égalité, à la dignité et à la liberté pour une personne humaine. Vu dans cette perspective, le droit à l’autodétermination est un droit inaliénable, indivisible et universel.

Saganash, 1993 : 87

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