Des avantages et des inconvénients

En réalité, il est beaucoup plus exact d’affirmer que les membres des Premières Nations vivant dans les réserves ont des droits différents des autres citoyens. Si à certains égards ils ont des avantages que d’autres n’ont pas (certaines exemptions de taxes par exemple), ils sont aussi privés ou limités dans l’exercice d’un certain nombre de droits.

Le droit fondamental de toute personne à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens en est un bon exemple. Ce droit est reconnu dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU), pourtant ratifié par le Canada. Dans les domaines de juridiction québécoise, ce droit est aussi garanti dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, à l’article 6. Pourtant l’exercice de ce droit n’est pas entièrement garanti dans les réserves autochtones qui relèvent de la juridiction fédérale. C’est le cas en matière de propriété et de transfert des biens immeubles, ou encore en matière testamentaire. Le tableau inclus dans le présent chapitre, comparant la situation d’un Indien habitant une réserve à celle d’un citoyen ordinaire à l’intérieur d’une municipalité, illustre bien la situation.

À l’intérieur d’une municipalité, toute personne qui en a les moyens peut acquérir un terrain. La transaction est simple et se fait entre particuliers. Ce n’est pas le cas dans les réserves autochtones. Les membres des Premières Nations sont privés du droit de propriété du sol. Ils n’ont qu’un droit limité de possession ou d’occupation. Le transfert des terrains n’est pas soumis non plus au libre marché comme dans le cas d’une municipalité.

Le droit de saisie dans les réserves est un autre exemple révélateur. Les biens personnels d’un Indien ou d’une bande ne peuvent faire l’objet d’une saisie. À première vue, cela pourrait ressembler à un avantage. En réalité, il s’agit plutôt d’un inconvénient majeur en matière de développement économique. Sans droit de saisie, une personne des Premières Nations ne peut emprunter, contracter une hypothèque ou avoir accès librement au crédit à la consommation. Rien d’étonnant que peu d’entreprises autochtones aient pu se développer.

Les membres des premières nations vivant dans une réserve ont des droits différents des autres citoyens, ils sont aussi privés de certains droits

Situation d’un Indien habitant une réserve Situation d’un citoyen à l’intérieur d’une municipalité
Propriété et possession de terrains
  • Un droit limité de possession ou d’occupation
  • Le ministère des Affaires indiennes et du Nord délivre des certificats de possession et d’occupation
  • Un droit de transfert à la bande ou à un autre membre de la bande seulement, et ce transfert n’est valable que s’il est approuvé par le Ministre
  • Les terres de réserve ne sont assujetties à aucune saisie sous le régime d’un acte juridique
  • Elles ne peuvent faire l’objet d’une hypothèque, ce qui limite la capacité d’emprunt
  • Un droit de propriété
  • Un propriétaire obtient un véritable titre de propriété
  • Tout propriétaire d’un terrain peut vendre en toute liberté à qui il le désire, y compris à une ou des personnes résidant à l’extérieur de la municipalité
  • Droit de saisie
  • Droit d’hypothèque et capacité d’emprunt
Transmission des biens par succession
  • La compétence sur les questions testamentaires relatives aux Indiens est l’exclusivité du Ministre
  • Un testament a un effet juridique seulement lorsqu’il est approuvé par le Ministre
  • Toute personne saine d’esprit peut léguer ses biens aux personnes de son choix
  • Tout testament a généralement un effet juridique après le décès
Biens de personnes mentalement incapables
  • La compétence à l’égard des biens d’un Indien mentalement incapable est attribuée exclusivement au Ministre
  • La compétence sur les biens d’une personne mentalement incapable relève de sa famille ou, à défaut, du Curateur public
Biens des enfants mineurs
  • Le Ministre peut administrer tous biens auxquels ont droit les enfants mineurs d’Indiens, ou en assurer l’administration, et il peut nommer des tuteurs à cette fin
  • Les biens des enfants mineurs sont sous la responsabilité des parents de l’enfant ou, à défaut, de la personne qui en tient lieu (tuteur)
Aliénation des biens
  • Les biens d’un Indien ou d’une bande situés à l’intérieur d’une réserve ne peuvent faire l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque ou d’une saisie
  • Tout bien peut généralement faire l’objet d’une hypothèque ou d’une saisie
Accès au crédit à la consommation
  • Les biens d’un Indien dans une réserve n’étant pas saisissables, l’accès au crédit à la consommation et l’obtention même d’une carte de crédit s’avère souvent impossible et ce, quels que soient son revenu et sa solvabilité
  • Toute personne solvable ayant des biens meubles ou immeubles en garantie peut généralement avoir accès au crédit à la consommation et obtenir une carte de crédit
Taxation
  • Ordinairement, aucun Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession d’un bien à l’intérieur d’une réserve. Cependant, le Conseil de bande peut émettre des règlements pour imposer des taxes à des fins locales sur les immeubles de la réserve de même que sur le droit d’occupation, de possession et d’usage
  • Dans une municipalité les propriétaires sont soumis à la taxation municipale et scolaire
Taxation (Vente au détail)
  • Exemption de la taxe de vente lorsque la vente est faite dans une réserve, entre Indiens ou à un Indien
  • Un bien meuble autre qu’un véhicule automobile acheté en dehors d’une réserve par un Indien est exempt de taxes si livré par le vendeur dans la réserve pour y être consommé ou utilisé
  • Application de la TPS et de la TVQ sur la vente des produits et services partout sur le territoire du Québec
Impôt sur le revenu
  • Exemption d’impôt sur le revenu lorsque le travail est exécuté dans la réserve
  • Exemption d’impôt sur le revenu lorsque le travail est situé hors réserve, mais seulement pour le compte d’un employeur situé dans la réserve
  • Le revenu d’un Indien est imposable lorsque l’emploi est effectué en dehors de la réserve pour un employeur de l’extérieur de la réserve
  • Prestations d’assurance-emploi imposables lorsqu’elles découlent d’un revenu imposable
  • Les revenus d’emploi ou de prestations sont imposables
  • Les prestations d’assurance-emploi de tout citoyen sont imposables

(Source : Pierre Lepage, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, février 1994)

« C’est le temps des REER »
Sauf dans les communautés des premières nations

Chaque année, dès janvier, les institutions financières et d’autres agences accréditées tel le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec investissent dans des campagnes publicitaires afin d’inviter les consommateurs à acquérir des Régimes enregistrés d’épargne-retraite, appelés communément « des REER ». Nul doute qu’il s’agit d’une bonne façon de planifier ses revenus de retraite. Cependant, l’incitatif principal des campa­gnes annuelles REER demeure d’abord les économies d’impôt que ce régime permet aux particuliers et aux familles. Or une personne des Premières Nations qui travaille au sein de sa communauté ne peut pas bénéficier des avantages REER. Lorsqu’on ne paie pas d’impôt sur le revenu, on ne peut bénéficier d’une économie d’impôt. C’est simple! Ne soyons donc pas surpris si peu de membres des Premières Nations possèdent des placements de retraite.

D’autre part, on a grandement exagéré l’ampleur du privilège conféré par l’exemption de l’impôt sur les salaires. Dans la majorité des communautés des Premières Nations, on tient compte de cette exemption pour déterminer les salaires. Où se situe le privilège si les salaires sont nettement inférieurs? Il faut donc faire preuve de prudence dans ce domaine. Encore une fois, on ne saurait isoler un seul élément de la Loi sur les Indiens sans tenir compte de l’ensemble des composantes du régime de tutelle.

Attention! Les exemptions prévues à la Loi sur les Indiens ne s’appliquent pas à tous les Autochtones. Elles ne s’appliquent qu’aux seuls Indiens inscrits. Les Inuits pour leur part ne sont aucunement concernés par cette loi d’exception. Ils paient donc taxes et impôts comme tout le monde. Nous y reviendrons dans Des attaques répétées à un mode de vie.

Deux femmes autochtones devenues célèbres pour leur lutte contre une discrimination fondée sur le sexe, inscrite dans la Loi sur les Indiens. Membre de la nation Malécite du Nouveau-Brunswick, Sandra Lovelace (à gauche sur la photo) avait perdu son statut d’Indienne en 1970, suite à son mariage avec un non-Indien. Elle n’aurait pas perdu son statut si elle avait été un homme épousant une non-Indienne. À la même époque Janet Corbière-Lavell (à droite sur la photo), une Ojibwa de l’Ontario qui avait vécu la même situation, s’est adressée sans succès à la Cour Suprême du Canada pour faire invalider l’article discriminatoire de la Loi sur les Indiens. La Cour suprême avait jugé, dans une décision partagée rendue en 1973, que la Déclaration canadienne des droits n’avait pas préséance sur la Loi sur les Indiens. Cet échec et l’absence de recours internes, au pays, ont permis par la suite à Sandra Lovelace d’adresser sa requête au Comité des droits de l’homme des Nations Unies où elle a obtenu gain de cause. Réunies à Montréal en juin 1990, les deux femmes se sont méritées le prix Robert S. Litvack, décerné aux champions des droits de la personne.

Credit photo: Jean-Yves Létourneau, La Presse

La Confédération Haudenosaunee ou Confédération des Six Nations iroquoises, émet son propre passeport (à droite) affirmant ainsi son indépendance et sa souveraineté politique. Pour les représentants iroquois donc, pas question d’exhiber le passeport canadien.

Credit photo: Roger Lemoyne

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