Un régime de tutelle

Depuis la création de la Confédération en 1867, les Indiens et les terres réservées aux Indiens relèvent de la compétence exclusive du gouvernement fédéral. Ce n’est pas le cas des autres citoyens qui relèvent à la fois du fédéral et des provinces.

Pour comprendre d’où vient cette particularité, il faut remonter à la Conquête où la Couronne britannique désire s’allier les nations autochtones, vu leur importance sur le plan militaire et stratégique. Dans un document officiel, la Proclamation royale de 1763, le Roi affirme sa volonté d’assurer la « protection » des « nations et tribus sauvages qui sont en relation avec nous ». Tels sont les termes employés. On y parle même de consentement des Autochtones lorsqu’il s’agit de coloniser leurs terres. Le document a une valeur constitutionnelle.

Cependant, lorsque le gouvernement du Canada adopte sa première Loi sur les Indiens, en 1876, un véritable glissement s’effectue dans l’administration des affaires indiennes. Ces « nations et tribus » dont il fallait assurer la « protection » seront placées sous la tutelle du gouvernement fédéral.

Jeunes filles portant des billots, Mistassini 1957.

Credit photo: Jos. Morin, Archives nationales du Québec à Québec

Me Renée Dupuis, auteure d’un ouvrage sur la question indienne au Canada, résume bien ce régime de tutelle :

Jusqu’en 1985, la renonciation à l’identité indienne était le prix à payer pour acquérir tous les attributs de la citoyenneté. La loi prévoyait en effet qu’un Indien ou même toute une communauté indienne puisse demander l’émancipation, moyennant certaines conditions. Être émancipé signifiait ne plus être légalement un Indien. Il fallait donc quitter sa communauté. Concrètement, cela signifiait l’assimilation. Tel était d’ailleurs l’objectif principal de la loi.

Malgré des correctifs apportés en 1985 et une politique gouvernementale favorisant une plus grande autonomie des Premières Nations, la Loi sur les Indiens est toujours en vigueur. Et c’est à tort qu’elle est considérée comme un régime de privilèges qui existerait au détriment de la population en général.

La prétendue « égalité » du livre blanc de 1969

En 1969, Jean Chrétien, alors ministre des Affaires indiennes et du Nord sous le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, rend public un document intitulé La politique indienne du Gouvernement du Canada. Ce Livre blanc suscita un refus unanime et provoqua une mobilisation sans précédent de tous les organismes autochtones à travers le Canada.

La « société juste » promise par le gouvernement libéral exigeait, selon les auteurs du document, que l’on mette fin à la tutelle fédérale. Qu’avait-on à offrir en retour? L’égalité de tous les citoyens et la fin du statut spécial des Autochtones, comme en font foi ces deux extraits du Livre blanc :

Le Gouvernement croit à l’égalité. À ses yeux tous les hommes et toutes les femmes ont des droits égaux. Il est résolu à ce que tous soient traités avec équité et que nul ne soit désormais écarté de la vie canadienne, surtout pour des motifs de caractère ethnique.

[…] À long terme il y a lieu de faire disparaître de la constitution toutes les allusions à l’Indien, faute de quoi on ne saurait supprimer la distinction juridique actuelle entre lui et les autres Canadiens. À court terme on peut chercher une solution au moins partielle au problème en révoquant la Loi sur les Indiens et en faisant adopter certaines dispositions de caractère transitoire en vue d’assurer une gestion rationnelle des terres indiennes.

Canada, Affaires indiennes, 1969

Généreuse en apparence, cette proposition d’égalité suscita la colère et l’indignation. La réaction fut d’autant plus vive que, l’année précédente, bon nombre de leaders autochtones avaient accepté, sur une base provinciale, de participer à des « comités consultatifs » institués par le ministère des Affaires indiennes. La réponse des milieux autochtones fut donc immédiate et virulente. Un leader autochtone de l’Alberta, Harold Cardinal, répliqua aussitôt par la publication d’un livre désormais célèbre : The Injust Society. The Tragedy of Canada’s Indians. Dès la première page, l’auteur affirme que les Indiens du Canada, une fois de plus, sont « trahis par un programme qui n’offre rien de moins que le génocide culturel ». La politique présentée en juin 1969 est « un programme à peine voilé d’extermination par le biais de l’émancipation ». Ne mâchant pas ses mots, Cardinal ajoute que pour survivre, « l’Indien doit devenir un bon petit blanc au teint foncé ». Et l’auteur poursuit en affirmant que si les Américains vivant plus au sud avaient inventé le dicton « Le seul bon Indien est un Indien mort », au Canada, on s’apprêtait à modifier légèrement la formule par « Le seul bon Indien est un non-Indien » (Cardinal, 1969 : 1, notre traduction).

Un peu plus loin, Harold Cardinal souligne l’étrange ressemblance de la proposition du Livre blanc avec la politique d’extinction (policy of termination) poursuivie aux États-Unis au début des années 50. Cette politique, amorcée sous le gouvernement Eisenhower, avait eu des résultats désastreux, notamment sur les terres indiennes. Elle fut finalement abandonnée (Cardinal, 1969 : 133).

En juin 1970, les chefs indiens de l’Alberta répliquent à leur tour en rendant public leur Livre rouge intitulé Citizens Plus, lors d’une rencontre à Ottawa avec le Premier ministre Trudeau et le ministre des Affaires indiennes (debout à droite sur la photo). Ils reprennent ainsi, à leur compte, par ce titre, une des recommandations principales du Rapport Hawthorn-Tremblay, publié en 1966. Dans leur étude sur la situation des Indiens du Canada, ces derniers avaient recommandé, non pas la fin du statut spécial des Indiens, mais plutôt leur reconnaissance en tant que « citoyens avantagés », puisqu’en plus « des droits et des devoirs qui découlent normalement de la citoyenneté, les Indiens détiennent certains droits supplémentaires en leur qualité de membres privilégiés de la collectivité canadienne » (Hawthorn et Tremblay, 1966, I : 11).

Credit photo: Duncan Cameron, Archives nationales du Canada, PA 170161

Les signataires du Livre rouge sont d’autant plus inquiets qu’ils représentent des nations qui ont signé des traités en 1876, 1877 et 1899. L’occasion est tout indiquée pour rappeler au gouvernement les promesses solennelles exprimées par les représentants de la Couronne lors des négociations de ces accords. Les commissaires de traités ont bel et bien indiqué que leurs promesses seraient honorées, « aussi longtemps que le soleil brillera et que les rivières couleront ».

La politique mise de l’avant dans le Livre blanc fut finalement abandonnée. Une des conséquences positives fut le développement et la consolidation des organisations politiques autochtones dans chacune des provinces et à l’échelle canadienne. En 1970, la Fraternité nationale des Indiens du Canada voit le jour. Elle deviendra, en 1980, l’Assemblée des Premières Nations, à l’occasion des discussions entourant le rapatriement de la Constitution canadienne. Le travail de ces nouvelles organisations a porté fruit. En 1982, le Parlement du Canada adoptait des dispositions constitutionnelles visant à mieux protéger les droits fondamentaux des peuples autochtones, un revirement complet si l’on considère la politique élaborée treize ans plus tôt.

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