De la « protection » à la coercition

Regardons brièvement ce qui s’est passé. Nous avons vu que, dans la lutte que se livrent les grandes puissances coloniales pour assurer leur hégémonie sur le continent nord-américain, guerre et commerce sont indisso­ciables. On a besoin des Premières Nations et pour la guerre et pour le commerce. Jusque vers 1820, le commerce des fourrures occupe le premier rang dans le commerce extérieur du Canada. Il est primordial dans l’existence même de la colonie (Bilodeau et Morin, 1974 : 6). Les choses changent cependant, à partir de 1814, après la révolution américaine et la fin des hostilités entre les Américains et les Britanniques; plus besoin des Premières Nations pour faire la guerre. Quant au commerce des fourrures, il est en déclin. Les nations autochtones perdent donc leur position d’alliées stratégiques. Toutefois, si on n’a plus besoin d’elles pour la guerre ou pour le commerce, on a cependant besoin de leurs terres.

En 1869, renier son nom indien, une condition à l’émancipation

En 1869, l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauva­ges et à la meilleure administration des affaires des Sauvages… énonçait ainsi, à l’article 16, les devoirs des dits « Sauvages » quant à leur volonté d’émancipation :

Chaque Sauvage devra, avant l’émission des lettres patentes mentionnées dans la treizième section du présent acte, déclarer au surintendant-général des Affaires des Sauvages, les nom et prénom sous lesquels il désire être émancipé et connu par la suite; et après avoir reçu les lettres-patentes, sous ce nom et prénom, il sera considéré comme émancipé, et il sera dès lors connu sous ces noms et prénoms, et sa femme et ses enfants mineurs non-mariés seront considérés comme émancipés; et à compter de la date de ces lettres-patentes, les dispositions de tout acte ou loi établissant une distinction entre les droits et obligations légitimes des Sauvages et ceux des autres sujets de Sa Majesté, cesseront de s’appliquer au Sauvage, ainsi qu’à sa femme et ses enfants mineurs déclarés émancipés comme il est dit ci-haut, lesquels ne seront plus réputés des Sauvages dans le sens des lois relatives aux Sauvages…

Acte sanctionné par le Parlement du Royaume-Uni, le 22 juin, 1869

C’est dans ce contexte qu’un vaste projet d’assimilation est élaboré. Comme le soulignent les anthropologues Savard et Proulx, à partir des années 1840, les autorités gouvernementales vont en effet chercher « à se doter de pouvoirs nécessaires à l’accélération de la dépos­session territoriale des Indiens, et à la diminution du nombre de ceux-ci par voie d’assimilation au mode de vie blanc. De tels objectifs exigeaient que le gouvernement s’arroge le droit de décider lui-même qui serait indien et, surtout, à quel moment ce statut devient caduc » (Savard et Proulx, 1982 : 86-87). Les deux auteurs indiquent que le plan visant à « l’extinction progressive de la population indienne au Canada » fut élaboré entre 1840 et 1867 et qu’il « répondait à des objectifs de réduction des coûts ». C’est aussi ce plan qui donna lieu à la mise en place de tout un vocabulaire dont nous retrouvons les traces encore aujourd’hui : « émancipation, Indien enregistré, Indien sans statut, Métis, Indien sous-traité, etc. » (ibid. : 87).

Un encadrement administratif relatif aux « affaires des Sauvages » est donc mis en place, parallèlement à l’appropriation progressive des terres occupées par les Autochtones. Au moment de la création de la Confédération canadienne en 1867, les Autochtones ne sont ni présents, ni même consultés. À leur insu, un glissement encore plus grand s’effectue en ce qui a trait à l’administration de leurs affaires. Dans les discussions sur le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, c’est au fédéral que revient la compétence exclusive sur les affaires indiennes. Ce faisant, le fédéral se donne le pouvoir de légiférer sur « les Indiens et les terres réservées aux Indiens » (article 91.24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique). De la « protection », la porte s’est ouverte vers la coercition.

Cette responsabilité exclusive du fédéral a trouvé son expression dans la Loi sur les Indiens de 1876. Il s’agit fondamentalement d’une loi adoptée par le Parlement du Canada qui confère aux Indiens, tel que souligné plus haut, un statut équivalent à celui de citoyens mineurs. En fait, la loi a consacré l’incapacité légale des Indiens dans presque tous les domaines et miné complètement leur autonomie.

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