Paternalisme, perte d’autonomie et dépendance

Quelques rappels historiques nous permettent de mesurer tout le paternalisme de la Loi sur les Indiens. Les premières lois relatives à ces populations ont en effet donné un très grand pouvoir au gouvernement de contrôler les Indiens vivant dans les réserves.

Les communautés des Premières Nations perdent d’abord la capacité politique de définir qui sont leurs membres. On décide pour eux. Ne seront désormais légalement des Indiens que ceux qui sont inscrits dans le grand livre (le registre) du ministère des Affaires indien­nes. Le fédéral fixant les règles, définissant qui est Indien et qui ne l’est pas, c’est alors que les catégories « Indiens avec statut » (ou Indiens inscrits) et « Indiens sans statut » (ou non inscrits) prennent toute leur importance.

D’autre part, nous l’avons vu, la Loi avait pour objectif ultime l’affranchissement, c’est-à-dire la perte du statut par émancipation. Selon les époques, diverses mesures ont été mises de l’avant. Très tôt une discrimination basée sur le sexe est apparue. Dès 1869, toute femme indienne mariant un non-Indien perdait automatiquement son statut. Les conséquences? Elle devait quitter la communauté, se voyait privée de participer à la vie politique et même du droit d’être enterrée parmi les siens. De plus, elle se voyait privée d’un autre droit fondamental sur le plan des droits de la personne, celui de maintenir et de faire progresser sa propre vie culturelle avec les autres membres de son groupe. Cette exclusion s’appliquait à elle et à ses descendants. Pourtant cette exclusion ne s’appliquait aucunement aux hommes indiens mariant des non-Indiennes. Ces dernières devenaient d’ailleurs légalement des Indiennes. On dit souvent de la Loi sur les Indiens qu’elle fut un « déni d’identité » pour des milliers de personnes et leurs descendants (voir Jamieson, 1978). Ce n’est donc qu’en 1985, par suite des luttes acharnées des associations de femmes autochtones et d’une décision du Comité des droits de l’homme de l’ONU, que le Canada a dû mettre fin à cette discrimination basée sur le sexe.

Naskapi avec son grand toboggan de 3 mètres de longueur, Fort Mackenzie, 1941.

Credit photo: Archives nationales du Québec à Québec, Fonds Paul Provencher

Jeune cri exposant fièrement l’hirondelle qu’il vient de tuer à la fronde, Waswanipi, 1955.

Credit photo: M. C. Laverdière, Archives nationales du Québec à Québec

Les fondements de la politique d’assimilation

La politique d’assimilation se fondait sur quatre a priori déshumanisants (et incorrects) au sujet des Autochtones et de leurs cultures :

  • C’étaient des peuples inférieurs.
  • Ils étaient incapables de se gouverner et les autorités coloniales étaient les mieux placées pour savoir comment protéger leurs intérêts et leur bien-être.
  • La relation spéciale fondée sur le respect et le partage que consacraient les traités était une anomalie historique qui n’avait plus sa raison d’être.
  • Les idées européennes de progrès et de développement étaient de toute évidence correctes et pouvaient être imposées aux Autochtones sans tenir compte des autres valeurs, opinions ou droits qui pouvaient être les leurs.

Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, 1996a : 1

Certaines dispositions prévoyant la perte du statut avaient quelque chose de choquant. En 1880 par exemple, un amendement à la loi décrétait que tout Indien qui obtenait un diplôme universitaire serait automatiquement affranchi. Il n’était donc plus un Indien, ni lui, ni sa famille, ni ses descendants. Un amendement de 1933 ira encore plus loin. Il donnait en effet le pouvoir au gouverneur en conseil d’émanciper un Indien sans son consentement, sur simple recommandation du surintendant général des Affaires indiennes. L’émancipation obligatoire, quoique peu utilisée, est demeurée dans la loi jusqu’en 1951, malgré les protestations des premiers intéressés.

Comment ne plus être un indien – L’émancipation de 1955 à 1975

Période Émancipation volontaire
(Indiens adultes émancipés sur leur demande, avec leurs enfants mineurs non-mariés)
Émancipation involontaire
(Indiennes émancipées à la suite de leur mariage avec des non-Indiens, avec leurs enfants non-mariés)
Nombre total
(Indiens émancipés)
Adultes Enfants Femmes Enfants
1965-1975 1,313 963 4,274 1,175 7,725
1965-1975 263 127 4,263 772 5,425
Total partiel 1,576 1,090 8,537 1,947
Total 2,666 10,484 13,150

(Source : Hawthorn et Tremblay 1966, I  : 292 ; Canada, 180 : 104)

Total des émancipations de 1876 à 1974

Période Total
De 1876 à 1918 102
De 1918 à 1948 4 000
Années financières 1948 à 1968 13 670
Année financière 1968 – 1969 785
Année financière 1969 – 1970 714
Année financière 1970 – 1971 652
Année financière 1971 – 1972 304
Année financière 1972 – 1973 7
Année financière 1973 – 1974 460
Total 20 694

(Source : Jamieson, 1978 : 73)

En 1923, une femme mohawk expulsée de sa communauté

Le 15 avril 1923, parce qu’elle s’était mariée à un Blanc vingt-cinq années plus tôt, une mère mohawk de Caughnawaga (aujourd’hui Kahnawake) était expulsée de sa communauté d’origine. Sans le sou et ne parlant ni le français ni l’anglais, madame Joseph Boyer dut se réfugier à Montréal avec ses quatre enfants. Les commentaires accompagnant cette photo d’archives indiquent qu’elle serait le premier cas d’une femme indienne mariée à un non-indien qui fut expulsée d’une réserve par le gouvernement fédéral.

Credit photo: Atlantic Photo Inc., New York City, photo de Presse, 1923, coll. Pierre Lepage

On enlève aux parents indiens la responsabilité de l’éducation de leurs enfants

Les récents amendements donnent le contrôle aux Affaires indiennes et retirent aux parents indiens la res­ponsabilité du soin et de l’éducation de leurs enfants, et les meilleurs intérêts des enfants indiens sont promus et pleinement protégés.

Extrait du Rapport annuel 1921, du ministère des Affaires indiennes, cité dans Goodwill et Sluman, 1984 : 134, notre traduction

Famille indienne, Val-d’Or, Qué.

Credit photo: Val-d’Or Studio, vers 1945, coll. Pierre Lepage

La volonté d’assimilation était loin d’être un objectif caché. Lors des débats de 1920 à la Chambre des communes, sur l’opportunité de décréter l’affranchissement obligatoire, le grand artisan de la pro­cédure, Ducan Campbell Scott, s’exprimait sans détour :

Notre objectif est de poursuivre le travail jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un seul Indien au Canada qui n’ait pas été absorbé dans le corps politique et jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de question indienne ni de département des Affaires des Sauvages, tel est l’objectif principal de ce projet de loi.

APC, R.G. 19 1920

Selon les époques, les lois relatives aux indiens étaient coiffées d’un titre évocateur

Année Titre de la loi
1857 Acte pour encourager la civilisation graduelle des tribus sauvages en cette Province, et pour amender les lois relatives aux Sauvages.
1859 Acte concernant la civilisation et l’émancipation des Sauvages.
1884 Acte à l’effet de conférer certains privilèges aux bandes les plus éclairées du Canada, dans le but de les habituer à l’exercice des pouvoirs municipaux ou Acte de l’Avancement des Sauvages.
1927 Loi concernant les Indiens.
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