Un contrôle indu des mouvements politiques

Nous savons maintenant qu’à plusieurs occasions les Affaires indiennes et ses agents locaux n’ont pas hésité à intervenir directement pour tuer dans l’œuf des mouvements politiques indiens dont les orientations pouvaient diverger des vues du Ministère ou constituer une menace à son pouvoir. Ce fut notamment le cas dans les années 1920. Un Indien, du nom de Fred O. Loft, met sur pied la Ligue des Indiens du Canada et tente de l’implanter à travers le pays (Goodwill et Sluman, 1984 : 128-136). Il rencontre aussitôt l’opposition systématique du Ministère. C’est alors qu’apparaît la menace de la perte automatique du statut d’Indien dans l’arsenal des moyens pour faire taire Loft. Le leader est discrédité, traité d’agitateur, et les réunions sont surveillées. Loft sollicite des fonds pour soutenir l’organisation. On interdit alors, par un amendement à la Loi sur les Indiens, toute possibilité de recueillir des fonds dans les réserves sans l’autorisation écrite du surintendant général des Affaires indiennes.

Les pensionnats indiens, un outil privilégié d’assimilation

Marcelline Kanapé, qui a été directrice de l’École secondaire Uashkaikan de Pessamit, résumait, au cours d’une conférence sur l’éducation, la nature profonde du régime des pensionnats indiens, maintenu en vigueur jusqu’aux années 1970 : « On nous a enseigné que tout ce qui était indien était mauvais. »

Le régime des pensionnats indiens (connus aussi sous le nom d’écoles résidentielles) a été instauré officiellement, au Canada, en 1892. Il est le fruit d’ententes conclues entre le gouvernement du Canada et les Églises catholique romaine, anglicane, méthodiste et presbytérienne. Le gouvernement a mis fin à ces ententes en 1969 (Fondation, 1999 : 7).

Le but de ces établissements était simple : l’évangélisation et l’assimilation progressive des peuples autochtones : « À la fin de leurs études dans les pensionnats, les enfants, après avoir été resocialisés et baignés dans les valeurs de la culture européenne, seraient les prototypes d’une magnifique métamorphose : le « sauvage » devenu civilisé, prêt à accepter ses privilèges et ses responsabilités de citoyen. » (Commission royale, 1996b, 1 : 365).

En 1931, il y avait au Canada quatre-vingts écoles résidentielles, localisées principalement dans le Nord-Ouest et dans les provinces de l’Ouest. Pour des raisons mal connues, le système fut établi plus tardivement au Québec. Deux pensionnats indiens, l’un catholique et l’autre protestant, furent établis à Fort-George avant la Deuxième Guerre mondiale. Quatre autres furent créés après la guerre : Saint-Marc-de-Figuerie, près d’Amos, Pointe-Bleue, au Lac Saint-Jean, Maliotenam, près de Sept-Îles et La Tuque, en Haute-Mauricie (ibid : 364).

La première communion au pensionnat de St-Marc-de-Figuery, vers 1950.

Credit photo: photographe inconnu, coll. Pierre Lepage

La Commission royale sur les peuples autochtones qualifie cet épisode de « tragique histoire des pensionnats ». Depuis 1986 d’ailleurs, une à une, les Églises responsables des écoles résidentielles ont présenté des excuses publiques. Durant des décennies, des générations d’enfants ont été éloignées sciemment de leurs parents et de leurs villages, contraints à une discipline rigide, et on leur a même interdit de parler leur langue sous peine de punitions. Au cours d’une entrevue télévisée faisant état des pensionnats indiens, l’ex-juge en chef de la Cour suprême du Canada, Antonio Lamer, parlait de kidnapping : « On les a à toutes fins pratiques incarcérés dans les écoles. Moi je ne suis pas trop fier de ça. » (Réseau Historia, mai 2001) L’histoire des pensionnats est aussi marquée par des récits innombrables de négligences, d’abus et de sévices physiques et sexuels. Bien qu’il ne faille pas généraliser, le constat est sévère. En 1998, le gouvernement du Canada s’engageait à consacrer un montant de 350 millions de dollars afin d’appuyer des initiatives dites de « guérison communautaire » pour les membres des peuples autochtones « qui ont souffert des séquelles laissées par les sévices physi­ques et sexuels subis dans les pensionnats ». Ce fonds est actuellement géré par la Fondation autochtone de guérison, un organisme autochtone indépendant. (Fondation, op. cit.)

En 2006, suite à des recours intentés par des ex-pensionnaires contre le gouvernement du Canada et divers groupes religieux, un règlement approuvé par les tribunaux est intervenu constituant ainsi le plus important règlement de recours collectif de l’histoire du Canada. Au terme de cette entente, des compensations financières ont été versées aux anciens élèves des pensionnats et des sommes supplémentaires ont été accordées « aux élèves victi­mes de violence sexuelle, de sévices physiques graves ou d’autres formes de mauvais traite­ment leur ayant causé un préjudice psychologique sérieux. » (Walker, 2009) Mais plus important encore, cette entente a prévu la création de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada qui s’est vue confier le mandat, entre autres, de documenter, de reconnaitre les expériences, les séquelles et les conséquences découlant des pensionnats et d’explorer les voies de la réconciliation. Entre 2008 et 2015, les membres de cette Commission ont parcouru le pays et entendu plus de 6 750 témoignages, anciens pensionnaires, membres de leurs familles et autres personnes qui souhaitaient partager leurs connaissances sur le sujet. Dans son rapport rendu public en 2015, cette Commission a qualifié de « génocide culturel » l’épisode des pensionnats autochtones et formulé 94 recommandations ou appels à l’action. (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015a et b)

Élèves du pensionnat indien de Saint-Marc-de-Figuery, près d’Amos, dans les années 1950.

Credit photo: Société d’histoire d’Amos, Fonds H. Dudemaine

Il est important de mentionner qu’en juin 2008, le premier ministre du Canada avait présenté ses excuses au nom du gouvernement pour les préjudices subis par les Autochtones dans le cadre de ce vaste projet d’assimilation que constituaient les pensionnats. Dans son allocution, il a rappelé les objectifs principaux poursuivis :

…isoler les enfants et les soustraire à l’influence de leurs foyers, de leurs familles, de leurs traditions et de leur culture, et les intégrer par l’assimilation dans la culture dominante. Ces objectifs reposaient sur l’hypothèse que les cultures et les croyances spirituelles des Autochtones étaient inférieures.

cité dans Ottawa, 2010 : 116

La politique des pensionnats indiens a laissé aux communautés des Premières Nations et chez les Inuits un lourd héritage. Les multiples rapports sur cette question convergent vers la même conclusion. Les séquelles des pensionnats sont à l’origine de nombreux problèmes sociaux observés aujourd’hui au sein de ces communautés.

Lors du Forum socioéconomique des Premières Nations tenu à Mashteuiatsh au Lac St-Jean en octobre 2006, Thaddée André qui était alors chef de la communauté de Matimekush, a résumé en une phrase percutante les effets sur sa vie de la politique d’assimilation poursuivie à travers les pensionnats indiens : « Toute ma vie j’ai voulu être un Blanc! ». Et il ajouta : « Mais je n’étais pas heureux! ».

Thaddée André (à droite) accompagné de son cousin, Luc André, au Pensionnat indien de Maliotenam, fin des années 1950.

Credit photo: coll. Institut Tshakapesh, fonds Père Jean Fortin

Enfants innus au pensionnat de Maliotenam, en 1952. En avant, au centre, les mains jointes et portant sa robe à carreaux, la petite Johanne Pinette, 7 ans.

Credit photo: coll. Jean-Claude Therrien-Pinette

À la même époque, en réaction aux revendications territoriales qui se manifestent du côté de la Colombie-Britannique, le fédéral amende la Loi sur les Indiens (Daugherty, 1982 : 16). En conséquence, de 1927 à 1951, toute cueillette de fonds destinés à des poursuites relatives à des revendications territoriales constitue une infraction. Les collectivités indiennes sont prises au piège, privées de tout recours judiciaire.

En 1945, des membres des Premières Nations qui tentent d’affirmer leur souveraineté et leur désir d’autonomie gouvernementale feront face à une opposition aussi dure. Le Gouvernement de la nation indienne de l’Amérique du Nord est mis sur pied. Au moment où le fédéral entreprend une révision de la Loi sur les Indiens, ce groupe adopte sa propre Loi indienne. Mais cette affirmation d’autonomie aura son prix. L’initiateur du mouvement, Jules Sioui, un Huron de Lorette, et quelques autres leaders seront condamnés à deux ans de prison pour conspiration séditieuse (Sioui c. Le Roi, 1949).

Ces quelques rappels historiques sont essentiels pour mieux comprendre la vraie nature de la Loi sur les Indiens et de la tutelle fédérale. Ces sombres moments d’une histoire encore récente sont malheureusement demeurés inconnus. L’opinion publique ne s’en est guère émue. Dans Des droits différents à apprivoiser, nous verrons que la Loi sur les Indiens est toujours en vigueur et que c’est à tort qu’elle est perçue comme un régime de privilèges qui existerait au détriment de la population en général. Si, à première vue, la tutelle semble comporter des avantages, elle comporte aussi de graves inconvénients.

Obtention du droit de vote

Le Québec a été la dernière province à accorder le droit de vote aux Indiens. Au fédéral, un droit de vote partiel avait été accordé en 1885, puis retiré en 1896. C’est ainsi que des Indiens de l’Ontario, du Québec et des Maritimes ont pu voter aux élections générales de 1887, 1891 et 1896. Si l’exercice de ce droit a été retiré, c’est qu’on le jugeait incompatible avec l’état de tutelle. Les « personnes sous tutelle », tels les Indiens, n’étaient pas considérées comme des sujets de droit (les femmes ne l’étaient pas non plus). En conséquence, « elles n’avaient pas droit à cette responsabilité » (Jamieson, 1978 : 51; voir également Hawthorn et Tremblay, 1966, I : chap. XIII).

Cependant, l’exercice du droit de vote a été un sujet de controverse au sein même des collectivités autochtones. Plusieurs considéraient que le fait de voter constituait une acceptation de la citoyenneté canadienne et une renonciation de leur droit de peuples souverains et indépendants :

Si les Indiens votent, ils ne constitueront plus une nation souveraine, puisqu’ils deviendront par le fait même citoyens canadiens et sujets britanniques… Le PEAU- ROUGE est moralement tenu de ne pas voter aux élections fédérales ni aux élections provinciales… Il est malheureux qu’une bande de Peaux-Rouges irresponsables, affligés d’un complexe d’infériorité raciale, se rendent dans les bureaux de scrutin et renoncent à jamais à leur souveraineté et à leur identité nationales!

Circulaire distribuée à Akwesasne, en 1963, citée dans Hawthorn et Tremblay, 1966, I : 291

Encore aujourd’hui, au sein de plusieurs nations, l’exercice du droit de vote aux élections fédérales ou provinciales, est délibérément ignoré. Du côté des Inuits, la situation est différente puisqu’ils ont été expressément exclus de l’application de la Loi sur les Indiens comme nous le verrons au chapitre 4. Le droit de vote au fédéral leur sera accordé en 1950 alors que les membres des Premières Nations l’obtiendront 10 ans plus tard.

Droit de vote

Nouvelle-Écosse

Toujours

Terre-Neuve

Toujours

Territoires du Nord-Ouest

Toujours

Colombie-Britannique

1949

Manitoba

1952

Ontario

1954

Canada

1960

Saskatchewan

1960

Yukon

1960

Nouveau-Brunswick

1963

Île-du-Prince-Édouard

1963

Alberta

1965

Québec

1969

Source : Sources : Hawthorn et Tremblay 1966, I : 292 ; Canada, 180 : 104

L’épidémie de tuberculose au milieu des années 50

Un Inuk sur sept, dans les hôpitaux du Sud

Au milieu des années 50, la tuberculose fait rage dans les communautés nordiques. Les deux photos ci-contre ont été prises en décembre 1956, à l’Hôpital Immigration (aujourd’hui Christ-Roi), près de Québec. Entre 1949 et 1965, les Affaires indiennes et du Nord relevaient en effet du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. En haut à droite, un groupe de femmes et d’enfants inuits; en bas, devant l’arbre de Noël, un groupe de jeunes innues originaires de la région de Sept-Îles.

Credit photo: Louise Roy, coll. Pierre Lepage

Dans son livre sur l’Histoire des autochtones du Nord canadien, (1979) Keith Crowe mentionne qu’en 1950, un Inuk sur cinq était atteint de la maladie. « Au cours de l’année 1956, un Inuk sur sept séjourna dans un hôpital du Sud, et presque chaque famille indienne aussi vit quelqu’un être évacué dans le Sud pour des mois ou des années. »

« Chaque année, des équipes médicales allèrent dans le Nord, profitant des rassemblements des traités ou à bord des navires de ravitaillement ou de chalands fluviaux. Ils visitaient les camps éloignés, prenant des radiographies et donnant des vaccins, et un flot de patients étaient envoyés au sud dans leur sillage. »

Credit photo: Louise Roy, coll. Pierre Lepage

Des tuberculeux revenaient chez eux handicapés et ne pouvaient plus s’adonner à la chasse. Des patients auraient été « perdus » pendant des années à cause d’erreurs administratives. On évoque la situation d’enfants ayant oublié leur langue maternelle et devenus incapables de communiquer avec leurs semblables au retour. On mentionne enfin la difficile réinsertion dans les communautés de patients ayant passé des années « dans des hôpitaux surchauffés et presque sans exercice, après avoir vécu dans une propreté constante et après avoir connu la nourriture préparée d’avance… » (Crowe, 1979 : 161, 215 et 216)

L’ampleur du traumatisme vécu par des membres de communautés des Premières Nations et par de nombreux Inuits qui ont séjourné à cette époque dans des hôpitaux du Sud a été porté à l’attention du grand public en 2008 avec la sortie du très beau film intitulé Ce qu’il faut pour vivre. Réalisé par Benoît Pilon d’après un scénario de Bernard Émond, le film raconte le périple d’un chasseur inuit atteint de tuberculose durant les années 1950. Ce film a été la révélation de l’année cinématographique québécoise en 2008 et a remporté de nombreux honneurs notamment sur la scène inter­nationale. Natar Ungalaak, qui a incarné le rôle principal s’est vu mériter le prix du meilleur acteur aux prix Jutra de 2009.

Campagne de détection de la tuberculose dans les années 1950 chez les Innus de Natashquan.

Credit photo: Musée régional de la Côte-Nord, Fonds Pauline Laurin

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