Conquête et obligation d’assimilation

L’idée que les Autochtones ont été conquis est profondément enracinée dans l’imaginaire collectif des Québécois. Mais d’où vient cette idée, sinon des manuels scolaires d’autrefois? L’histoire du Canada nous présentait, illustration à l’appui, Jacques Cartier plantant une croix à Gaspé en 1534. Il prenait ainsi possession du territoire au nom du roi de France. Il faut cependant se demander si on n’a pas abusé de cette image. Le fait de planter quelques croix sur un territoire pouvait-il suffire à assurer la souveraineté de la France sur les terres des Premières Nations et les Inuit et leurs sociétés? Rien de moins sûr.

Le fait de planter quelques croix sur le territoire comme l’a fait Jacques Cartier à Gaspé en 1534, et comme l’ont abondamment illustré nos anciens manuels scolaires, suffisait-il à assurer la souveraineté de la France sur les terres et les collectivités autochtones? On peut en douter!

Credit photo: Archives nationales du Canada, C 3278

On aurait bien voulu faire des membres des Premières Nations de bons sujets français, c’est un fait. La France a agi, au début, avec l’objectif de soumettre les autochtones à son autorité et de les assimiler. Mais cette politique a été un échec. Elle a dû être abandonnée. Sur le terrain, les choses allaient se passer bien différemment.

Ce qui a modelé les relations entre Français et Autochtones, c’est avant tout le commerce, la traite des fourrures. Cette activité exi­geait la collaboration et le bon voisinage avec les trappeurs et commerçants autochtones. Ce n’est pas en dominant et en soumettant ces collectivités que ce commerce pouvait être assuré. Il n’y avait qu’une façon de faire : se lier d’amitié et maintenir de bonnes relations. Plutôt que par la conquête et par la force, c’est en favorisant des alliances commerciales et militaires, en concluant de nombreux traités de paix et d’amitié que les relations entre les deux peuples se sont solidifiées. Et c’est tant mieux! Voilà un volet de notre histoire que nous pouvons évoquer avec fierté.

Coopération plutôt que domination

Le commerce des fourrures se différencie des autres systèmes d’exploitation coloniale. Contrairement à l’agriculture et à l’industrie qui nécessitent un bouleversement de l’environnement, la propriété du sol, la servitude, la fourrure exige le maintien du milieu et la coopération des populations locales. Cette collaboration tranche quelque peu avec l’idéologie coloniale en cours où priment les rapports de domination. À nul autre moment de l’histoire américaine, l’Européen ne fut aussi proche de l’environnement et de l’Indien. De cette osmose forcée va naître un personnage original, écartelé entre deux cultures : le commis, le coureur de bois, le trappeur, « les hommes de la fourrure » ne peuvent assurer le contrôle de la production sans entretenir des relations amicales avec les Indiens, relations d’autant plus étroites qu’ils doivent affronter un milieu naturel inconnu.

Jacquin, 1996 : 13

Il faut bien admettre que le fait de conclure de telles alliances et traités impliquait, sur le plan politique du moins, que l’on reconnaissait ces peuples comme des interlocuteurs égaux qui étaient maîtres des lieux. Sur les terres nouvellement « découvertes » par les Européens, les Autochtones exerçaient, de fait, une souveraineté. Et pour alimenter l’industrie de la fourrure, il fallait que les membres des Premières Nations puissent rester libres d’utiliser leurs propres territoires. Cela allait de soi.

C’est donc avec des « alliés » plutôt qu’avec des « sujets du roi » qu’il a fallu composer. Sous le Régime français, les membres des Premières Nations ne furent d’ailleurs pas soumis à la taxation et aux impôts. Ils ne furent pas soumis non plus aux lois pénales et civiles françaises. D’ailleurs, lors de la capitulation de Montréal en 1760, le gouverneur français, Vaudreuil, va exiger de son vis-à-vis anglais la protection de ces alliés. L’article 40 de l’Acte de capitulation de Montréal est éloquent : « Les sauvages ou indiens alliés de sa majesté très chrétienne seront maintenus dans les terres qu’ils habitent, s’ils veulent y rester, ils ne pourront estre inquiétés sous quelque prétexte que ce puisse estre, pour avoir pris les armes et servi sa majesté très chrétienne. Ils auront comme les François, la liberté de religion et conserveront leurs missionnaires. » Bien sûr, il y a eu conquête en 1760. Mais il s’agit bien, ne l’oublions pas, de la victoire, en Amérique du Nord, de l’Angleterre sur la France et non sur les nations autochtones. Il est intéressant d’ailleurs de constater que durant la période qui a précédé la capitulation, plusieurs Premières Nations ont tenu à affirmer leur neutralité dans la guerre qui opposait les Français et les Anglais. Un collier de wampums, précieusement conservé en milieu autochtone depuis cette période, en témoigne. Nos manuels d’histoire ont malheureusement accordé peu d’importance à ces archives des Premières Nations.

En 1760, ce sont donc les Français qui ont été conquis. Les Français et leurs descendants devaient-ils pour autant être tenus de s’intégrer et de s’assimiler aux Anglais? L’histoire nous a démontré qu’il en a été tout autrement. Les Français ont pu conserver leurs coutumes, leur tradition religieuse et, ultérieurement, leurs institutions propres ainsi que leur tradition juridique issue du Code civil français. S’il en fut ainsi, pourquoi les Autochtones, qui n’ont pas été conquis par la guerre, devraient-ils être tenus de s’assimiler?

Des alliés plutôt que des sujets du roi

On laisse entendre qu’ « à la conquête, les Indiens, sujets du roi de France, devinrent sujets du roi d’Angleterre ». L’Acte de capitulation de Montréal énonce pourtant que « les Indiens alliés de Sa Majesté très Chrétienne seront maintenus dans les terres qu’ils habitent, s’ils veulent y rester ». D’ailleurs, l’histoire nous démontre que, de Champlain à Vaudreuil, l’autorité française en Amérique ne tenta jamais d’assujettir les Amérindiens contre leur gré, puisque se les aliéner eut signifié, pour les Français, la fin de leur lucratif commerce de fourrures dont les Amérindiens constituaient un des rouages les plus importants.

Dionne, 1983 : 11

Aquarelle d’un couple algonquin du XVIIIe siècle, auteur inconnu.

Credit photo: Ville de Montréal, Gestion des documents et archives

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