Les prétendus « passe-droits » en matière de chasse et de pêche

Les Autochtones ont toujours conservé des droits importants en matière de chasse, de pêche et de piégeage, des droits distincts de ceux reconnus aux autres résidents du Québec. Dans certains cas ces droits sont prioritaires voire même exclusifs. Des groupes d’intérêt ont souvent cherché à présenter cette situation comme une forme de « passe-droit », une « discrimination » qui s’exercerait au détriment du « citoyen ordinaire ». Nous avons pourtant vu au chapitre 4 qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre l’existence de droits distincts et l’exercice du droit à l’égalité tel qu’inscrit dans nos chartes des droits et libertés. Des situations particulières peuvent en effet exiger que certains groupes aient des droits distincts parce que c’est une façon de leur assurer une égalité réelle. C’est ainsi que depuis 1982, la Constitution canadienne reconnaît aux « peuples autochtones » des droits particuliers du fait qu’ils ont occupé le territoire avant l’arrivée des Européens. C’est ce qu’il faut entendre par l’expression « droits ancestraux ». En ce qui concerne les Cris, les Inuit et les Naskapis, signataires de traités avec les gouvernements du Québec et du Canada, nous parlons de « droits et libertés issus de traités » selon les termes utilisés à l’article 35 de la Constitution.

Par ailleurs, le droit de maintenir sa propre vie culturelle et ses coutumes, constitue un droit de la personne protégé par l’article 43 de Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il est aussi protégé par le droit international, notamment par l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En ce sens, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies faisait observer que « la culture peut revêtir de nombreuses formes et s’exprimer notamment par un certain mode de vie associé à l’utilisation des ressources naturelles, en particulier, dans le cas des populations autochtones ». (Nations Unies 1994 : 3-4)

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007 et dont nous avons fait état au chapitre 4, va beaucoup plus loin au plan de la reconnaissance des droits des premiers peuples. Il y est clairement indiqué que les Autochtones, en tant que peuples distincts, ont le droit « de disposer en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités économiques, traditionnelles et autres. » (art. 20-1) En outre, ces peuples « …ont le droit aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent et occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis. » (art. 26-1) À cet égard, les États ont la responsabilité d’accorder « …reconnaissance et protection juridiques à ces terres, territoires et ressources…en respectant dûment les coutumes, traditions et régimes fonciers des peuples autochtones concernés. » (art. 26-3) (Nations Unies 2007)

Chez les Autochtones, la pratique de la chasse, de la pêche et du piégeage témoi­gne d’un mode particulier d’occupation du territoire. À partir des années 1930, les gouvernements ont cherché à encadrer ces activités. À cette époque, la faune et le mode de vie des Autochtones étaient mis en péril par des abus perpétrés par des non-Autochtones. Pour contrer cette réalité, le Québec, en collaboration avec le gouvernement fédéral, établissait un vaste réseau de « réserves de chasse aux animaux à fourrure ». Ce réseau de sanctuaires et de réserves, connu familièrement sous l’expression « réserves de castors », est toujours en vigueur. Il correspond à un territoire impressionnant, 232,500 km2, et couvre près de 80 % de la superficie du Québec. Chaque réserve de castors est subdivisée en lots familiaux et les Autochtones y détiennent l’exclusivité du piégeage des animaux à fourrure. Cependant, ce régime n’a pas protégé les Autochtones contre le développement d’activités concurrentes. Trop souvent dans le passé, des familles autochtones se sont retrouvées dans la « cour à bois » de compagnies forestières, d’autres ont vu leurs territoires inondés ou affectés par des activités de développement, au mépris de leur existence.

Préparation d’un souper communautaire à Waswanipi. Castor et outarde sont au menu.

Credit photo: Shirley Sarna, août 2003

Ce régime particulier, peu connu du grand public, démontre que les droits et les activités des Autochtones s’exercent bien au-delà des territoires restreints que constituent les réserves autochtones. Ces dernières sont des lieux de résidence permanente de la majorité des communautés des Premières Nations. L’existence de ce régime indique aussi que le territoire du Québec n’est pas un terrain vague, mais un territoire à l’égard duquel les Autochtones conservent un lien d’appartenance et de responsabilité.

Par ailleurs l’idée fortement répandue à l’effet que les Autochtones ne se soumettent à aucune règle ni à aucune restriction en matière de chasse et pêche est loin de correspondre à la réalité. La communauté ilnu (innue) de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean a fait preuve de leadership il y a plusieurs années en mettant sur pied un système d’agents territoriaux et en adoptant par la suite un code de pratiques en matière de prélèvements fauniques. Et il ne s’agit pas d’un cas unique. Plusieurs communautés des Premières Nations ont adopté un encadrement serré des activités de prélèvement des espèces fauniques. Sur la Côte-Nord, en 2014, la communauté innue d’Ekuanitshit « a adopté un règlement de pêche visant à favoriser la pérennité du saumon de la Romaine et la poursuite de la pêche alimentaire sur cette rivière. » (Conseil des Innus, 2014) Sur la rivière Moisie, la communauté innue de Uashat mak Mani-utenam est aussi soumise à un code pour la pêche au saumon. Là comme ailleurs des agents territoriaux veillent aux bonnes pratiques. Du côté de la Gaspésie, la nation mi’gmaq de Listuguj a adopté sa propre règlementation sur la pêche interdisant la capture des saumons adultes afin de contribuer aux efforts de conservation du saumon dans le bassin des rivières Restigouche et Kedgwick au Nouveau-Brunswick. (Radio Canada, 2013) Enfin, du côté de la Nation huronne-wendat, depuis 2015, des gardiens de territoire ont été formés comme assistants à la protection de la faune. « Principalement attitrés au secteur Tourilli (dans le parc des Laurentides), cette nouvelle qualification leur donne le pouvoir de s’assurer que pêcheurs et chasseurs respectent les quotas prescrits, mais aussi d’intervenir lors de braconnage où d’actes illicites. » (Conseil de la Nation huronne-wendat, 2017) Ce ne sont là que quelques exemples.

La création de la Réserve de castors de Mistassini remonte à 1948.

Credit photo: Jos Morin, Archives nationales du Québec à Québec

Au début des années 1950, le castor fut réintroduit dans certaines régions du Québec où l’animal avait complètement disparu. Aidé de deux membres des Premières Nations, des naturalistes capturent ici des castors à l’aide de paniers-pièges. De l’Abitibi, ils sont par la suite transportés en avion pour peupler d’autres régions. L’opération s’est avérée un succès de même que l’établissement du régime des réserves de chasse aux animaux à fourrure, communément appelées « réserves de castors ».

Credit photo: Jos Morin, Archives nationales du Québec à Québec

Enfin, mentionnons que depuis 2016 les nations autochtones du Québec et du Canada font front commun pour la mise sur pied d’un Réseau national des gardiens de territoires autochtones.

Déjà, plus de 30 communautés autochtones au Canada ont établi ou sont en voie d’établir un programme de gardiens de territoire, qui combine les forces des systèmes de gouvernance, des cultures et des connaissances autochtones à la science occidentale afin de protéger et de surveiller les terres et les eaux qui assurent la survie des peuples autochtones depuis des millénaires, mais sont aujourd’hui menacées par les pressions du développement des ressources, et les changements environnementaux.

Initiative de leadership autochtone, 2016

Ce réseau, qui est une initiative menée pas des Autochtones d’ici, compte sur l’aide financière du gouvernement du Canada. En Australie, un programme semblable connait un énorme succès.

RÉSERVES DE CHASSE AUX ANIMAUX À FOURRURE (RÉSERVES DE CASTORS)
Limites des réserves de chasse

Credit photo: Carte du Gouvernement du Québec, Négociation CAM, août 1989.

LOTS DE PIÉGEAGE DES COMMUNAUTÉS DE SEPT-ÎLES ET SCHEFFERVILLE
Lot de piégeage
Note : Les lots de piégeage ont été enregistrés sans tenir compte de la frontière du Labrador.

Credit photo: Lots de piégeage, Réserve de castors Saguenay, Division Sept-Îles, sud-ouest, Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, février 1985.

Des agents territoriaux qui veillent aux bonnes pratiques

En 1985, la communauté ilnu (innue) de Mashteuiatsh a mis sur pied une équipe d’agents territoriaux et s’est dotée de codes de pratiques en matière de chasse, de pêche et de piégeage des animaux à fourrure. Le message transmis aux membres de la communauté était important : les individus pris en infraction en vertu des lois provinciales relatives à la faune, à la chasse et à la pêche ne pourraient recevoir le soutien du Conseil de bande s’ils n’avaient pas respecté le code d’éthique lors de la pratique de leurs activités. Ils pourraient même se voir imposer des pénalités allant jusqu’à une suspension de leur droit de pratique pour une période déterminée. (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, 2008)

Credit photo: Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (Conseil des Ilnus de Mashteuiatsh)

Le code de pratique sur les prélèvements fauniques, actuellement en vigueur, prévoit des mesures tels l’enregistrement des prises, les calibres autorisés pour la chasse et la description des pratiques interdites. Le code encadre la vente, le don, l’échange et le partage de gibier, la délimitation de périodes de chasse ou de pêche interdites, etc. De plus, un code d’occupation et d’utilisation établit des règles environnementales concernant la construction de camps et décrit de quelle façon la gestion des territoires traditionnels, incluant les Réserves de castor, s’exerce. Ce dernier dicte également les devoirs et responsabilités des gardiens des territoires familiaux. Chacun de ces codes est précédé par un code d’éthique faisant partie intégrante des règles de conduite.

L’exemple du système d’agents territoriaux et du code de pratiques est particulièrement intéressant en matière d’autonomie gouvernementale. Les règles mises en vigueur prennent leur source dans la tradition ilnu et les pratiques de conservation des espèces fauniques.

Agent territorial en territoire.

Credit photo: Pakuakamiultnuatsh Takuhikan (Conseil des Ilnus de Mashteuiatsh)

Une entente historique sur la protection et la gestion du caribou

Le 17 octobre 2017, sept nations autochtones ont signé une entente visant la protection et la gestion du caribou de la péninsule de l’Ungava. Ces dernières années, les troupeaux de caribou de la rivière Georges et de la rivière aux Feuilles au Québec, qui avaient atteint un sommet en 1990, ont connu un déclin dramatique. Cette entente est le fruit de quatre années de discussions au sein de la Table ronde autochtone du caribou de la péninsule d’Ungava (TRACPU). Elle réunit les représentants des Inuit du Nunavik, des Inuit du Nunatsiavut au Labrador et du Conseil communautaire NunatuKavut du sud du Labrador, de la Nation naskapie de Kawawachikamach, du Grand Conseil des Cris Eeyou Istchee, de la Nation innue du Labrador ainsi que de la Nation innue du côté québécois. Le coprésident de la table de concertation, Adamie Delisle Alaku, de la Société Makivik, fait état d’une entente historique et sans précédent : « Nous ne croyons pas qu’il existe une autre entente du genre au Canada entre des peuples autochtones pour la gestion concertée de la faune. Le caribou a toujours été d’une importance vitale dans nos cultures autochtones, tant sur le plan spirituel que culturel en plus d’être une source de nourriture, et de servir à la confection d’abris et de vêtements. » (Uashat mak Mani-utenam, 2017) L’entente prévoit notamment, en plus du partage de la ressource, un plan de recherche et de suivi ainsi qu’un plan de gestion de l’habitat du caribou et des impacts environnementaux.

Les représentants de sept nations autochtones lors de la cérémonie de signature de l’entente historique sur la protection et la gestion du caribou de l’Ungava.

Credit photo: gracieuseté TRACPU

Credit photo: Jean Lafrance

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