Dans le cas des Premières Nations
Ainsi une personne dira : Je suis de la Première nation naskapie de Kawawachikamach, ou je suis de la Première nation Atikamekw de Manawan ou Première nation Mohawk d’Akwesasne etc. marquant ainsi à la fois sa nation d’appartenance et son lieu d’origine ou de résidence.
Dans les recherches qu’il a effectuées sur la vie traditionnelle dans la vallée du Saint-Laurent, l’historien Jean Provencher découvre avec un certain étonnement l’entraide et la coopération qui existaient entre Autochtones
Au Québec, on reconnaît l’existence de 11 nations autochtones : Abénaquis (Waban-Aki), Algonquins (Anishnabeg), Atikamekw Nehirowisiwok, Cris (Eeyou), Hurons-Wendat, Inuit, Malécites (Wolastoqiyik), Mi’gmaq (Micmacs), Mohawks (Kanien’kehá:ka), Innus (Montagnais) et Naskapis. Dans tout le Canada, on parle de près d’une soixantaine de nations autochtones.
…Chaque train est monté d’une vingtaine d’hommes, solides compagnons que n’effraie pas le danger. Ce sont, ordinairement, seize rameurs, un guide, un contremaître, un second et un cuisinier.
Le premier rapide que rencontrent les trains de bois, après leur départ de l’Île aux Jardins, est celui du Long Saut. À leur approche, des sauvages de Saint-Régis, avertis d’avance, vont à leur rencontre pour en prendre la direction. Les cages sont séparées les unes des autres et sautent les rapides l’une après l’autre.
Le saut des rapides du Côteau, des Cèdres et des Cascades se fait sous la direction de Canadiens de Saint-Zotique, qui demeurent à bord des cages jusque vis-à-vis de l’île Perrrot.
Généralement, on reste à l’ancre à Châteauguay en attendant le beau temps et le vent du nord favorables pour sauter les derniers rapides, ceux de Lachine.
Les sauvages qui dirigent les opérations mettent pied à terre à Laprairie…
L’une des figures marquantes de cette époque est sans contredit Jean-Baptiste Canadien, surnommé Big John Canadian (Raientonni), de la communauté
Dans son récit sur les aventures de Big John Canadian, Johnny Beauvais raconte que dès son jeune âge le célèbre personnage a été inspiré par Jean-Baptiste Taiaiake Rice. Ce dernier, un intrépide homme de rivière, œuvrait à une époque où quelques personnes seulement de Kahnawake détenaient les secrets des passages des embarcations à travers les rapides de Lachine. (Beauvais, 1985 : 11).
L’historien Pierre Frenette (1947-2011) relatait, pour sa part, l’amitié profonde à l’égard d’Innus qu’ont entretenue plusieurs grands personnages marquant l’histoire de la Côte-Nord, dès sa colonisation après 1850. C’est le cas des Napoléon-Alexandre Comeau, Robert McCormick, fondateur de Schelter-Bay/Port-Cartier puis de Baie-Comeau, et Henry de Puyjalon. Ce dernier, naturaliste averti, chasseur et amant de la nature a su profiter de l’expérience millénaire des Innus et des Naskapis. Puyjalon leur rend d’ailleurs un hommage tout particulier dans son livre Guide du chasseur de pelleterie :
Toutes (nations
nationsmontagnaise et naskapie) sont de relations sûres et de mœurs douces. Peut-être existe-t-il dans leur sein quelque mauvais drôle, mais j’en doute, tous les sauvages que j’ai connus étaient de parfaits honnêtes gens et lorsque ma mauvaise étoile m’a mis en présence d’un coquin, il était blanc.Groupe partageant une même culture, une même histoire et une même langue.
Frenette poursuivait en démontrant que cette relation d’entraide a marqué tout autant l’exploration et le développement de l’arrière-pays. « Albert Peter Low, le célèbre explorateur et naturaliste de la Commission canadienne de géologie qui parcourt et cartographie en long et en large le Nord québécois entre 1883 et 1904, compte sur les compétences du guide Sylvestre McKenzie de Sept-Îles pour utiliser les sentiers traditionnels qui relient les grandes rivières de la Côte-Nord, de la Baie-James et du Labrador. » À la fin des années 1920, c’est au tour du jeune ingénieur forestier Paul Provencher de pouvoir compter sur les services des guides innus lorsqu’il entreprit l’inventaire forestier des bassins de plusieurs rivières, Manicouagan, aux Rochers, Toulnoustouc et Outardes. Pierre Frenette mentionnait enfin la contribution essentielle du célèbre trappeur et chasseur de métier, Mathieu André, dont nous avons évoqué le nom au premier chapitre et qui, avec le géologue J.A. Retty, a joué un rôle déterminant dans la découverte de minerai de fer à haute teneur sur le plateau du Labrador dans les années 1930. (Pierre Frenette, 2010, entrevue personnelle)
C’est précisément cette entraide et cette amitié que l’on tient à célébrer, annuellement, à Natashquan, sur la Côte-Nord, où cohabitent des Innus et des descendants des premiers Acadiens venus des Îles-de-la-Madeleine. Depuis plus de dix ans, en août, le Festival du conte et de la légende de l’Innucadie réunit Autochtones et non-Autochtones qui partagent leur histoire à travers des contes et des légendes. Lors de la toute première édition de l’événement, en 2006, la poétesse et conteuse innue, Joséphine Bacon, a raconté avec émotion l’hospitalité, les échanges et l’entraide qui ont marqué le début de ces relations, une réalité profondément ancrée dans la tradition orale des Innus de Nutashkuan.
Paul Provencher, un pionnier de la rencontre québécois-autochtones
En 1943, l’ingénieur forestier Paul Provencher est chargé d’enseigner les techniques de survie en forêt aux commandos de l’armée canadienne. Sur les photos ci-dessous, il transmet deux techniques autochtones, celle de la pêche sous la glace et celle du cabanage.
En 1925, alors qu’il était encore étudiant, Paul Provencher parcourait le Témiscamingue avec des arpenteurs. Il y a vécu, comme il le dit si bien, « toutes sortes d’aventures extraordinaires en compagnie de guides hurons (les Sioui, de Lorette). » (Provencher et La Rocque, 1974 : 14). Il obtient son diplôme d’ingénieur forestier la même année. Après avoir parcouru en tous sens le bassin de la rivière Saint-Maurice, Provencher est chargé, en 1929, de dresser les inventaires forestiers de plusieurs bassins hydrographiques de la Côte-Nord (ibid. : 28). C’est lors de ces voyages en forêt qu’il fait la rencontre des Montagnais (les Innus), avec lesquels il se liera d’amitié et pour lesquels il gardera un profond respect. À une époque marquée par les politiques d’assimilation
Du côté de l’Abitibi, l’algonquin Gabriel Commanda est devenu, ces dernières années, un symbole marquant de collaboration et d’amitié entre les peuples. D’ailleurs, une marche annuelle dans les rues de Val-d’Or porte son nom, la Marche annuelle Gabriel Commanda, une initiative du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme. Commanda est un personnage légendaire né en 1891 dans la communauté algonquine Kitigan Zibi. Il a été trappeur, pêcheur, guide et prospecteur. « C’est lui qui le premier aurait indiqué aux prospecteurs, en 1920, la localisation du célèbre filon d’or de Lamaque qui fut à l’origine de la ruée vers l’or dans le Nord-du-Québec ». (Conseil tribal de la nation algonquine-anishinabeg, 2016) Décédé en 1967, sa contribution a été reconnue quelques années plus tard par la Ville de Val-d’Or « qui le considère aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la ville. » (idem)
Ces quelques exemples incarnent bien les relations d’entraide et de collaboration essentielles à la survie des populations et au développement du territoire qui prévalaient dans une histoire commune pas si lointaine et que nous avons tout intérêt à redécouvrir.