L’harmonie retrouvée

Les conflits sur les rivières à saumon d’il y a quelques décennies constituent un autre exemple de rupture, de relations conflictuelles, mais ils ont entrainé l’amorce d’un dialogue et de recherche d’intérêts communs dans les relations entre Autochtones et non-Autochtones. Rappelons brièvement les faits. Entre 1975 et 1983, en Gaspésie et sur la Côte-Nord, des incidents violents relatifs à la pêche au saumon se sont multipliés entre Autochtones et non-Autochtones: arrestations, saisies de filets, coups de feu, manifestations, gestes de défiance, interventions de l’escouade anti-émeute, mobilisation d’associations de chasseurs et de pêcheurs sportifs, campagne de salissage dans la presse sportive, propos incendiaires lors d’émissions de lignes ouvertes de stations de radio locales, etc. C’était la « Guerre du saumon ».

Au début des années 1980, le chef Philippe Piétacho, d’Ekuanitshit, accompagne au tambour le geste symbolique des membres de sa communauté. Appuyés par René Simon, président du Conseil Attikamek-Montagnais (à l’extrême droite), ils déploient un filet de pêche dans la rivière Mingan.

Credit photo: Ghislain Picard

Comment comprendre cette escalade sur­venue sur certaines rivières au milieu des années 1970? D’abord les Mi’gmaq de la Gaspésie et les Innus de la Côte-Nord étaient devenus en quelque sorte « des étrangers sur leurs propres rivières ». (voir à ce sujet, Panasuk et Proulx, 1981) Mais l’Opération gestion faune ou opération dite de « déclubbage » amorcée au Québec au début des années 1970 y est également pour quelque chose. Un mouvement tout à fait légitime s’était amorcé au sein de la population québécoise pour l’abolition des clubs privés et la restitution de territoires jusque là inaccessibles aux citoyens du Québec. Cependant, au moment où le « déclubbage » des rivières à saumon est allé de l’avant, les communautés des Premières Nations ont été laissées pour compte. Elles n’étaient pas les bienvenues. C’est dans un tel contexte que les conflits ont éclaté. Heureusement un dialogue entre Autochtones et non-Autochtones s’est amorcé et a donné lieu à des ententes profitables à tous, tout en visant un objectif commun, la préservation et la valorisation du saumon de l’Atlantique, une ressource menacée.

Le cas de la rivière Mingan sur la Côte-Nord mérite d’être cité en exemple. Jusqu’en 1984, cette rivière appartenait à des intérêts américains. Il s’agissait d’une propriété privée découlant de vieux droits seigneuriaux non éteints. Les pêcheurs québécois n’y avaient pas accès et les Innus y étaient considérés comme hors la loi. À la suite des pressions de la communauté innue d’Ekuanitshit (Mingan), le gouvernement fédéral a acheté la rivière et l’a annexée au territoire de la réserve. La Loi sur les Indiens prévoit qu’un Conseil de bande peut réglementer la faune sur la réserve. Comme la rivière était dans un piètre état, la com­munauté a accepté de respecter un moratoire sur toutes formes de pêche sur les rivières Mingan et Manitou. Un suivi scientifique et des travaux de restauration des deux rivières ont été entrepris. Résultat ? Depuis plusieurs années, la communauté d’Ekuanitshit a en main un outil de développement économique et gère la Pourvoirie du complexe Manitou-Mingan. Celle-ci accueille, chaque année, un grand nombre de pêcheurs québécois, ce dont il faut se réjouir. En 1986, le Conseil de Bande de Mingan s’est vu remettre un trophée Salar, prix prestigieux décerné pas la Fédération québécoise pour le saumon atlantique, soulignant ses efforts dans la préservation et la mise en valeur de la ressource.

Une image qui contraste avec les autres. En 1986, le Conseil de bande d’Ekuanitshit (Mingan) recevait un Salar, prix décerné par la Fédération québécoise pour le saumon atlantique (FQSA). Le chef Philippe Piétacho (au centre) tient dans ses mains le fameux trophée. Sur la photo, à droite, le président de la FQSA, Bernard Beaudin et, à gauche, Edmond Malec, de la nation innue, vice-président du Conseil régional Basse-Côte-Nord de la Fédération. À cette même époque, plusieurs communautés innues ont joint la FQSA.

Credit photo: Gracieuseté FQSA

L’escouade anti-émeute de la Sûreté du Québec intervient aussitôt afin de permettre aux agents de conservation de la faune (à l’arrière-plan) de retirer le filet de la rivière.

Credit photo: Ghislain Picard

Du côté de la Gaspésie, les Mi’gmaq de Gesgapegiag (Maria) et certaines municipalités riveraines de la rivière Cascapédia ont travaillé à la création, au début des années 1980, de la Société de gestion de la rivière Cascapédia. Il s’agit d’une société de gestion mixte composée en parts égales d’autochtones et de non-autochtones. La société administre et loue aux sportifs des camps de pourvoirie pour la pêche au saumon. Ses activités sont désormais une source d’emploi importante pour des membres de la communauté micmaque qui y travaillent comme guides, gardes-pêche ou cuisiniers. La pourvoirie constitue un levier de développement économique pour toute la région.

Pour résumer, ces quelques exemples démontrent bien que la recherche d’intérêts communs est gage de paix et d’harmonie. Sur les rivières à saumon en particulier, les différents intervenants ont vite réalisé que ce n’était pas en transformant les rivières en champs de bataille que les objectifs de la préservation du saumon de l’Atlantique et le respect des droits des différents utilisateurs pouvaient être garantis. Une approche de concertation entre tous les utilisateurs, sans exception, s’imposait. Et cela a été fait !

Aux escoumins, innus et québécois travaillent à une cause commune

La paix est revenue et le saumon aussi

Au tournant des années 1980, aux Escoumins sur la Côte-Nord, des conflits entre Autochtones et non-Autochtones relatifs à la pêche au saumon auraient pu tourner au drame. Un membre de la Fédération québécoise pour le saumon atlantique raconte comment les parties en présence ont pu mettre fin aux hostilités :

(…) Les gens ont alors commencé à se parler, à imaginer un modus vivendi. En 1991, ces discussions permettaient la création d’un comité bipartite rassemblant en parts égales les représentants du conseil de bande et de la municipalité. Coprésidé par un délégué de chaque groupe, le comité a fait ses classes pour finalement se transformer en véritable société de gestion. Compte tenu de l’ancien climat d’affrontement, c’était une véritable révolution tranquille que d’en arriver à parler ensemble d’aménagement.

Vézina, 1994

Mais tout n’était pas gagné, car la rivière était peu propice à la remontée du saumon. L’industrie forestière en particulier, avait laissé ses marques avec ses barrages et des décennies de flottage du bois. « Les artisans de son renouveau ont ensemencé, modernisé un vieux barrage, construit une « passe migratoire » pour faciliter les remontées, fait échec au braconnage. Une pisciculture a même été mise sur pied pour contrôler la qualité des alevins. » C’est finalement en août 1992 que la pêche sportive put reprendre sur la rivière avec les retombées économiques qui l’accompagnent. Aujourd’hui, de conclure Paul Vézina, « … seule la rivière gronde, signe de sa vitalité et de l’harmonie retrouvée. »

La Corporation de gestion de la rivière à saumon des Escoumins formée du Conseil de la Première Nation des Innus d’Essipit, de la Municipalité Les Escoumins et de représentants des pêcheurs veille au grain. En 2013, une étape importante a été franchie : le vieux barrage construit en 1846 a été démantelé et la rivière a pu reprendre son lit naturel.

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