Des modèles, sources d’inspiration

La Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, n’avait pas mis fin à tous les litiges dans les relations entre le Québec et la nation crie. Dans les années qui ont suivi sa signature, des dissensions sont survenues quant à l’interprétation et la mise en œuvre de plusieurs dispositions de ce premier traité de l’ère moderne. En outre, aucun mécanisme de règlement des différends n’était prévu à l’entente. À la fin des années 1980, les Cris se sont opposés avec vigueur au dévelop­pement du projet Grande-Baleine, un vaste projet hydroélectrique qui sera finalement abandonné en 1994. Subséquemment, de nombreux litiges ont surgi, particulièrement en ce qui a trait à la gestion et à l’exploitation forestière. Les Cris ont alors intenté des recours judiciaires contre le Québec et des entreprises d’exploitation.

C’est au tournant des années 2000 que les élus du gouvernement du Québec et du Grand Conseil des Cris ont pris la décision de régler leurs différends par la voie de la négociation. Ces discussions ont porté fruit et abouti, en 2002, à une entente d’une durée de 50 ans qui sera qualifiée par le grand chef des Cris de l’époque, Ted Moses, de « Paix des Braves ». Roméo Saganash, aujourd’hui député fédéral de la circonscription d’Abitibi – Baie-James – Nunavik – Eeyou et qui a joué un rôle majeur dans la négociation de cette entente historique, résume ainsi l’importance de celle-ci pour la nation crie :

Avant la Paix des Braves, les Cris en général se sentaient exclus du développement économique de leur territoire. C’était généralisé, que ce soit dans les secteurs minier, forestier ou même chez Hydro-Québec. Aujourd’hui, les gens se sentent impliqués et directement consultés. Ça se traduit par une participation dans les emplois et les contrats qui sont créés par le développement du territoire. C’est un changement absolument radical à cet égard.

Dubuc, 2011

Au sein de la Nation crie, la décision d’adhérer à cette entente n’a pas été facile puisqu’elle impliquait le détournement partiel de la rivière Rupert et ouvrait la voie à l’aménagement des centrales hydroélectriques Eastmain-1 et Eastmain-1-A. Elle fut tout de même approuvée par référendum dans une proportion de près de 70 %. En échange, l’entente a reconnu aux Cris un rôle incontournable dans le développement des ressources du territoire et a permis le transfert aux communautés cries de responsabilités jusque là assumées par le gouvernement du Québec, en particulier en matière de développement social et communautaire. Afin de permettre aux communautés cries d’assumer ces nouvelles responsabilités, le gouvernement du Québec s’est engagé à verser un montant annuel de l’ordre de 70 millions de dollars au cours des 50 prochaines années. Ce faisant, le Grand Conseil des Cris a convenu de mettre fin à une vingtaine de poursuites judiciaires. (voir à ce sujet : Québec et Grand Conseil des Cris du Québec)

La signature de la « paix des braves »,
Une entente de nation à nation

Le 7 février 2002, M. Bernard Landry, premier ministre du Québec et M. Ted Moses, grand Chef des Cris, signaient « La paix des braves » en présence de M. Matthew Coon-Come (à l’extrême gauche) alors Chef national de l’Assemblée des Premières Nations.

Credit photo: Grand Conseil des Cris

Une avancée importante, le gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James

Nous avons vu dans Un territoire à partager que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, a établi un partage du territoire en trois catégories de terres. En ce qui concerne les communautés cries, les terres de catégorie I leur sont attribuées pour leur usage exclusif. Les terres de catégorie II, qui sont contiguës, constituent un domaine exclusif de chasse et de pêche pour ces mêmes communautés. Toutefois, elles font partie du domaine public et sont ouvertes aux activités de développement. Les terres de catégorie III quant à elles couvrent plus de 80 % du territoire. Les Cris peuvent y exercer leurs activités de chasse et de pêche, mais n’y détiennent pas un droit exclusif, sauf en matière de piégeage des animaux à fourrure. Comme il s’agit de terres publiques appartenant à l’État québécois, ce vaste territoire était placé sous la juridiction de la Municipalité de la Baie-James.

En gris pâle, le territoire sous la juridiction du gouvernement régional mixte Eeyou-Istche/ Jamésiens.

Credit photo: Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James

Pour Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, il n’était pas du tout surprenant que les conflits aient surgi relativement à l’occupation et à l’aménagement du territoire. (entrevue personnelle, 2016). « Il y avait un non-sens. La gestion de ce vaste territoire était dans les mains des Blancs alors que les Cris étaient plus nombreux sur ce même territoire. » Madame Cyr a pu compter sur un allié : « Le maire de Chapais, Steeve Gamache m’interpelle alors sur la nécessité de trouver un moyen de travailler ensemble avec nos voisins autochtones. C’était à l’époque de la signature de l’entente sur la Paix des Braves et le Plan Nord de Jean Charest était à l’agenda. Pour M. Gamache et moi, il nous fallait trouver une solution aux nombreux conflits et enjeux juridiques sur la gestion du territoire et cela concernait également la représentation des communautés autochtones qui partagent ce territoire. Il y avait une réelle volonté pour tendre la main, pour s’assoir avec nos voisins autochtones. » Les deux maires ont alors pris l’initiative de rencontrer les chefs de quatre communautés cries, Mistissini, Oujé-Bougoumou, Némaska et Waswanipi et leurs échanges ont été fructueux. Les quatre chefs et les deux maires ont alors formulé une demande commune au gouvernement du Québec pour que les Cris siègent à la Municipalité de la Baie-James. Pour Manon Cyr, la lettre du « groupe des six » a tout changé. « Nous sommes passés de la confrontation à la concertation. »

Photo des membres du Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James. À l’avant au centre, le Grand Chef Dr. Abel Bosum, président du Gouvernement régional et à sa droite, madame Manon Cyr, mairesse de Chibougamau. Madame Cyr a assumé le premier mandat de l’organisation à titre de présidente.

Credit photo: Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James, mars 2019

Leur demande a eu un écho favorable. Au terme de négociations, les Cris et le Gou­vernement du Québec ont signé, le 24 juillet 2012, l’Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou-Istchee Baie-James. Celle-ci prévoyait d’étendre la juridiction des Cris sur les terres de catégorie II, mais surtout de créer un gouvernement régional paritaire entre les Cris et Jamésiens pour l’adminis­tra­tion des terres de catégorie III. Le 13 juin 2013, lorsque l’Assemblée nationale du Québec a sanctionné la Loi instituant le Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James, le Grand chef du Grand Conseil des Cris de l’époque, Matthew Coon Come, s’est exprimé de la façon suivante :

Je pense que la pratique d’exclusion est maintenant révolue, cette période où les gouvernements consultaient uniquement la Municipalité de la Baie-James en nous ignorant et souhaitaient limiter notre pouvoir de décision aux seules terres de catégorie I. C’est chose du passé. La municipalité de la Baie-James est abolie. Nous allons maintenant emprunter le chemin nous permettant de travailler ensemble et ce sera un défi. Mais je ne suis pas inquiet. J’ai confiance en mon leadership, j’ai confiance en mon peuple que nous allons faire tout en notre pouvoir pour être en mesure de travailler ensemble, faire en sorte que cette entente fonctionne, et que dans le Nord, nous ne soyons plus perçus à travers le prisme du nous et eux, mais que nous travaillons ensemble pour construire un futur pour les gens du Nord, et je pense que ce sera bon pour tous les Québécois.

Assemblée Nationale, 2013

Pour la mairesse de Chibougamau, cette mise en commun pour la gouvernance d’un immense territoire constitue un modèle unique dans le monde et au Canada : « Apprendre à se connaitre, s’apprivoiser, se faire confiance, partager des sports liés au territoire, développer des outils en commun pour le développement économique, etc. » (idem)

This site is registered on wpml.org as a development site. Switch to a production site key to remove this banner.