La Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, n’avait pas mis fin à tous les litiges dans les relations entre le Québec et la nation
Au Canada, dans les relations avec les peuples autochtones, il existe deux types de traités : ceux dits de paix et d’amitié et ceux dits territoriaux, c’est-à-dire ceux touchant plus spécifiquement les terres et les titres fonciers.
Dans l’esprit du gouvernement, les traités territoriaux avaient pour objectif d’éliminer tout obstacle à la colonisation et d’inciter les membres des Premières Nations à abandonner leurs terres, leurs modes de vie et à s’assimiler.
C’est au tournant des années 2000 que les élus du gouvernement du Québec et du Grand Conseil des Cris ont pris la décision de régler leurs différends par la voie de la négociation. Ces discussions ont porté fruit et abouti, en 2002, à une entente d’une durée de 50 ans qui sera qualifiée par le grand chef des Cris de l’époque, Ted Moses, de « Paix des Braves ». Roméo Saganash, aujourd’hui député fédéral de la circonscription d’Abitibi – Baie-James – Nunavik – Eeyou et qui a joué un rôle majeur dans la négociation de cette entente historique, résume ainsi l’importance de celle-ci pour la nation crie :
Avant la Paix des Braves, les Cris en général se sentaient exclus du développement économique de leur territoire. C’était généralisé, que ce soit dans les secteurs minier, forestier ou même chez Hydro-Québec. Aujourd’hui, les gens se sentent impliqués et directement consultés. Ça se traduit par une participation dans les emplois et les contrats qui sont créés par le développement du territoire. C’est un changement absolument radical à cet égard.
Au sein de la Nation crie, la décision d’adhérer à cette entente n’a pas été facile puisqu’elle impliquait le détournement partiel de la rivière Rupert et ouvrait la voie à l’aménagement des centrales hydroélectriques Eastmain-1 et Eastmain-1-A. Elle fut tout de même approuvée par référendum dans une proportion de près de 70 %. En échange, l’entente a reconnu aux Cris un rôle incontournable dans le développement des ressources du territoire et a permis le transfert aux communautés
La signature de la « paix des braves »,
Une entente de nation à nation
Aujourd’hui, nous pouvons enfin tourner la page et porter notre attention, notre énergie et notre imagination sur nos efforts communs, dans un véritable esprit de collaboration avec le Québec, en vue de planifier un avenir qui tienne compte de tous les Québécois, y compris les Cris.
Une avancée importante, le gouvernement régional Eeyou Istchee Baie-James
Nous avons vu dans Un territoire à partager que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signée en 1975, a établi un partage du territoire en trois catégories de terres. En ce qui concerne les communautés cries, les terres de catégorie I leur sont attribuées pour leur usage exclusif. Les terres de catégorie II, qui sont contiguës, constituent un domaine exclusif de chasse et de pêche pour ces mêmes communautés. Toutefois, elles font partie du domaine public et sont ouvertes aux activités de développement. Les terres de catégorie III quant à elles couvrent plus de 80 % du territoire. Les Cris peuvent y exercer leurs activités de chasse et de pêche, mais n’y détiennent pas un droit exclusif, sauf en matière de piégeage des animaux à fourrure. Comme il s’agit de terres publiques appartenant à l’État québécois, ce vaste territoire était placé sous la juridiction de la Municipalité de la Baie-James.
Pour Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, il n’était pas du tout surprenant que les conflits aient surgi relativement à l’occupation et à l’aménagement du territoire. (entrevue personnelle, 2016). « Il y avait un non-sens. La gestion de ce vaste territoire était dans les mains des Blancs alors que les Cris étaient plus nombreux sur ce même territoire. » Madame Cyr a pu compter sur un allié : « Le maire de Chapais, Steeve Gamache m’interpelle alors sur la nécessité de trouver un moyen de travailler ensemble avec nos voisins autochtones
Au Québec, on reconnaît l’existence de 11 nations autochtones : Abénaquis (Waban-Aki), Algonquins (Anishnabeg), Atikamekw Nehirowisiwok, Cris (Eeyou), Hurons-Wendat, Inuit, Malécites (Wolastoqiyik), Mi’gmaq (Micmacs), Mohawks (Kanien’kehá:ka), Innus (Montagnais) et Naskapis. Dans tout le Canada, on parle de près d’une soixantaine de nations autochtones.
Leur demande a eu un écho favorable. Au terme de négociations, les Cris et le Gouvernement du Québec ont signé, le 24 juillet 2012, l’Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou-Istchee Baie-James. Celle-ci prévoyait d’étendre la juridiction des Cris sur les terres de catégorie II, mais surtout de créer un gouvernement régional paritaire entre les Cris et Jamésiens pour l’administration des terres de catégorie III. Le 13 juin 2013, lorsque l’Assemblée nationale du Québec a sanctionné la Loi instituant le Gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James, le Grand chef du Grand Conseil des Cris de l’époque, Matthew Coon Come, s’est exprimé de la façon suivante :
Je pense que la pratique d’exclusion est maintenant révolue, cette période où les gouvernements consultaient uniquement la Municipalité de la Baie-James en nous ignorant et souhaitaient limiter notre pouvoir de décision aux seules terres de catégorie I. C’est chose du passé. La municipalité de la Baie-James est abolie. Nous allons maintenant emprunter le chemin nous permettant de travailler ensemble et ce sera un défi. Mais je ne suis pas inquiet. J’ai confiance en mon leadership, j’ai confiance en mon peuple que nous allons faire tout en notre pouvoir pour être en mesure de travailler ensemble, faire en sorte que cette entente fonctionne, et que dans le Nord, nous ne soyons plus perçus à travers le prisme du nous et eux, mais que nous travaillons ensemble pour construire un futur pour les gens du Nord, et je pense que ce sera bon pour tous les Québécois.
Pour la mairesse de Chibougamau, cette mise en commun pour la gouvernance d’un immense territoire constitue un modèle unique dans le monde et au Canada : « Apprendre à se connaitre, s’apprivoiser, se faire confiance, partager des sports liés au territoire, développer des outils en commun pour le développement économique, etc. » (idem)