La voie de l’autonomie gouvernementale

Au début de la période dite de « prise en charge » (années 1970), le défi était colossal. Outre le changement de cap dans le domaine de l’éducation, tout, en quelque sorte, était à construire : consolidation des organisations politiques autochtones, négociations d’ententes relatives au transfert des responsabilités dans des domaines aussi complexes que la santé, les services sociaux, la sécurité publique, le développement économique, l’administration des terres et quoi encore. Il y avait une fonction publique à imaginer, des organismes multiples à mettre sur pied et surtout du personnel à former.

Pour la nation crie et le peuple inuit en particulier, la signature d’un traité en 1975, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ), a signifié de grands bouleversements, tout en accélérant la mise en place d’administrations régionales d’envergure. C’est ainsi que furent créés simultanément l’Administration régionale crie, la Commission scolaire crie et le Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James. Du côté québécois, signe d’une évolution importante, en 2014, la Loi sur l’administration régionale crie a été abrogée pour être remplacée par la Loi sur le Gouvernement de la nation crie. Un autre développement majeur est survenu le 17 juin 2017, alors que le Gouvernement du Canada et les Cris d’Eeyou Istchee ont signé l’Entente sur la gouvernance de la Nation crie. Cet accord, sanctionné par une loi (L.C. 2018, ch. 4. 1), permet au Gouvernement de la Nation crie d’adopter ses propres lois plutôt que de simples règlements administratifs au sein de ses neuf communautés membres, ce qui implique que ces lois ne seront plus soumises au ministère des Affaires autochtones. Ce gouvernement aura notamment la possi­bilité, s’il le désire, de percevoir des taxes et des impôts auprès des bénéficiaires cris de la CBJNQ.

Chez les Inuits, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois a tracé la voie à la création de l’Administration régionale Kativik, de la Commission scolaire Kativik et de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik. D’autres organisations d’importance s’y sont greffées dont l’Institut culturel Avataq, créé en 1980, et qui a acquis au fil des ans une solide réputation.

Credit photo: Pierre Lepage

Au centre, le grand chef du Grand Conseil des Cris, Matthew Coon Come et la ministre des Affaires autochtones et du Nord Canada, Carolyn Bennett, lors de la signature de l’entente sur la gouvernance des Cris, le 18 juillet 2017.

Credit photo: Radio Canada/AANC

Malgré ces progrès en matière d’autonomie gou­vernementale, l’unité du peuple inuit était loin d’être acquise. En 1974, lors de la discussion du projet de Convention, les Inuits des villages de Puvirnituq, Ivujivik et une partie des habitants de Salluit ont mis sur pied une association dissidente, l’Inuit Tunngavingat Nunamini (ITN). Ce regroupement contestait en particulier la clause dite « d’extinction des droits territoriaux » prévue à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. L’ouverture d’un dialogue entre Inuits signataires et Inuits dissidents s’est cependant amorcée en 1983, à Québec, à l’occasion d’une commission parlementaire où les représentants des deux parties furent invités à s’exprimer. « Durant cette rencontre, Elyassie Sallualuk, le représentant d’ITN, s’adressa au premier ministre René Lévesque et lui demanda si la porte était toujours ouverte pour la négociation d’un gouvernement autonome. » (voir à ce sujet, Hervé, 2016) René Lévesque lui répondit par l’affirmative, mais à la condition que l’unité revienne au sein du peuple inuit. En janvier 1984, lors d’une rencontre à Puvirnituq, les représentants de la Société Makivik et d’ITN discutèrent des moda­lités de leur collaboration en vue de créer un gouvernement régional. (idem)

L’honorable Charlie Watt assume de nouveau, depuis 2018, la présidence de la Société Makivik, l’organisme mandaté pour représenter et promouvoir les intérêts des Inuits du Nunavik. En 1972, il a été le président fondateur de l’Association des Inuits du Nord québécois dans le cadre des débats entourant le développement hydroélectrique de la Baie-James. C’est cet organisme qui a signé, en 1975, au nom des Inuits, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Au moment de l’entrée en vigueur de la convention, en 1978, l’association a été remplacée par la Société Makivik et monsieur Watt en a assumé la présidence. En 1984, il a été nommé sénateur à Ottawa, une fonction qu’il a exercée pendant 34 ans.

Credit photo: Jean Louis Régis

Les décennies qui ont suivi ont amené d’intenses pourparlers : – formation du Comité constitutionnel du Nunavik en 1987 et ébauche d’un projet de constitution, – mise en place, en 1997, de la Commission du Nunavik, composée de représentants du Nunavik et des gouvernements du Québec et du Canada, – tenue d’audiences et dépôt d’un rapport, – négociations soutenues entre les parties, signature d’une entente de principe en 2007, et organisation, en 2011, d’un référendum auprès de la population pour la mise en place d’un gouvernement régional. Toutefois, selon la professeure Caroline Hervé : « Ce qui devait être une ratification de routine surprit tout le monde puisque les Inuits répondirent massivement « non » à cette entente le 27 avril 2011. » (idem)

Malgré des espoirs déçus, les discussions sur l’autonomie des Inuits ont pris une orientation nouvelle, celle du rôle décisif et incontournable du peuple inuit et de ses institutions dans le développement du territoire du Nunavik, particulièrement en matière de développement économique. Cette nouvelle orientation s’est imposée en mai 2011 à la suite de l’annonce du Plan Nord par le premier ministre du Québec de l’époque, Jean Charest. Par un geste significatif d’affirmation, les organisations inuites ont aussitôt répliqué par le dépôt du Plan Nunavik, indiquant du même coup les priorités des Nunavimmiuts (résidents inuits du Nunavik) au cours des 25 prochaines années. Comme l’explique la professeure Hervé, des consultations tenues en 2013 dans les villages inuits ont mené, en 2015 : « à la Déclaration des Inuits du Nunavik dans laquelle ils affirment la volonté d’être acteurs de leur développement et de créer une nouvelle structure de gouvernance au Nunavik qui les place dans une relation d’égalité avec le gouvernement du Québec et du Canada. » (Idem)

Les inuits prennent le leadership dans le développement des énergies renouvelables au Nunavik

Le 21 février 2017, les représentants des deux principaux organismes de développement économique de la région du Nunavik, la Société Makivik et la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec (FCNQ), ont signé un accord qualifié de « moment historique » pour la création d’une coentreprise consacrée à l’expansion des énergies renouvelables au Nunavik. Actuellement, selon le communiqué de presse émis, « 100 % de l’électricité produite dans la région du Nunavik provient de génératrices alimentées au diésel. » Avec cette entente, les Inuits veulent s’inscrire dans la politique du gouvernement du Québec visant à réduire de 40 % la consommation de combus­tibles fossiles d’ici 2030.

Credit photo: Fédération des coopératives du Nouveau-Québec

Un des objectifs premiers est de développer des projets locaux d’énergie renouvelable en partenariat avec les coopératives et les sociétés foncières de la région pour fournir de l’énergie aux communautés. D’autres projets énergétiques pourraient être réalisés pour les entreprises minières. Parmi les énergies envisagées pour l’exploitation, notons les énergies éolienne, solaire et même marémotrice – en effet, certaines des plus hautes marées au monde déferlent au large de quelques communautés du Nunavik.

Fédération des coopératives, 2017

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