Au Québec, un constat troublant

En visualisant la carte des traités territoriaux conclus au 19e et au début du 20e siècle, un constat troublant se dégage. Rien de tel, à l’exception des Abitibiwinnik, n’a été conclu sur le territoire du Québec. C’est le cas aussi sur presque tout le territoire de la Colombie-Britannique, de la majeure partie des territoires du Nord et des provinces maritimes. Tel que mentionné au début de ce chapitre, c’est en 1975 seulement qu’un premier traité territorial, impliquant le Québec, a été conclu. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois a été signée avec la nation crie et les Inuits du Nord, dans le cadre des travaux entourant le développement hydroélectrique de la région de la Baie-James. C’est le premier traité de l’ère moderne. En 1978, la nation naskapie de la région de Schefferville a signé une entente similaire appelée Convention du Nord-Est québécois. Au Québec, aucun autre traité n’a été conclu depuis.

Des accords de nation à nation

Les traités ne consacrent pas une défaite ou l’assujettissement. Les signataires ne renoncent pas à leur identité nationale, ni à leur façon de vivre, de travailler et de se gouverner. Ils reconnaissent plutôt leur désir commun de vivre dans la paix et l’harmonie, conviennent de règles de coexistence, puis s’efforcent de remplir leurs engagements les uns envers les autres.

Commission royale sur les peuples autochtones, 1996

La majorité des Premières Nations vivant au Québec affirment qu’elles n’ont jamais cédé leurs droits sur leurs terres ancestrales. Il faut leur donner raison sur ce point. Voilà pourquoi des négociations doivent être menées en vue d’un règlement de leurs revendications territoria­les. Et sur quelle portion du territoire se situent ces revendications actuelles? Là précisément où aucun traité n’a été conclu. En fait, si nous superposons les régions touchées par les traités histori­ques portant sur les terres, et celles touchées par les reven­dications contemporaines, nous obtenons, en quelque sorte, une épreuve positive et négative d’une même photographie de la réalité. C’est aussi simple!

Plusieurs Québécois ressentent une certaine angoisse et même une certaine culpabilité en découvrant qu’ici les questions relatives aux titres fonciers des Autochtones n’ont jamais été réglées. Pour certains, c’est une véritable douche froide. Pourtant, si cette situation apparaît comme une anomalie de l’histoire, il y a aussi lieu d’en tirer le meilleur parti. Tel que nous avons pu le constater, la façon dont les traités numérotés ont été conclus sur le territoire canadien, n’a rien de très glorieux. Ce qui aurait pu être une démarche d’égalité fondamentale, de reconnaissance réciproque et de respect mutuel des parties, s’est avéré plutôt comme un processus entaché par un très grand déséquilibre dans le rapport de force, par la méprise et la mésentente, voire le mensonge et la fraude. En somme, le Québec a la chance de faire mieux en matière de traités. Et il a fait mieux, sous plusieurs aspects, avec les premiers traités conclus avec les Cris, les Inuits et les Naskapis, il y a plus de quarante ans déjà.

Les Abitibiwinnik et le Traité no 9, un cas d’exception

Un grand nombre d’aînés vivant aujourd’hui dans la com- munauté algonquine de Pikogan, près d’Amos, viennent du Lac Abitibi. Ce très grand lac est situé de part et d’autre de la frontière séparant le Québec et l’Ontario. Les anciens racontent que tous les printemps, les Abitibiwinnik quittaient leurs territoires de chasse pour se rendre au Lac Abitibi :

Ils se rendaient alors à la pointe Apitipik afin d’y passer l’été. C’est là que les familles réaffirmaient leur appartenance au groupe ainsi qu’à la tradition Abitibiwinnik, en y célébrant des mariages et en négo- ciant des alliances politiques, comme les différents traités qui ont marqué leur histoire. À l’automne, ils retournaient sur leurs terrains de chasse respectifs.

Conseil de la Première Nation Abitibiwinni, 2019

Procession de canots au Lac Abitibi, 1906. Les Abitibiwinnik appelaient cet endroit Ki8ack8e matcite8ia.

Credit photo: Carte postale, Illustration Post Card, Montreal, coll. Pierre Lepage

C’est précisément en ce lieu de rassemblement, à la pointe Apitipik, située au Québec, que les Abitibiwinnik (appelés à l’époque le groupe Abitibi-Dominion) ont adhéré au Traité no 9, le 7 juin 1906. Toutefois, les dispositions du traité n’allaient toucher, dans les faits, que les familles ayant leur territoire du côté de l’Ontario. C’est ainsi fut créée la réserve ontarienne de Wahgoshig. Le gouvernement du Québec refusa de reconnaitre la validité du traité et de participer aux discussions. Devant le mécontentement des familles de l’Est, les commissaires chargés de conclure le traité au nom du gouvernement du Canada, n’eurent d’autres choix que de promettre l’établissement d’une réserve du côté québécois soit l’octroi d’un territoire d’un mille-carré par famille de cinq. Cela représentait un total de 34 milles carrés. Cette promesse ne fut jamais honorée.

Finalement, dans les années 1950, les pressions de la colonisation de même que le développement forestier et minier forcèrent les familles à quitter les alentours du Lac Abitibi. Le gouvernement fédéral fit l’achat de la terre d’un fermier pour y établir la nouvelle réserve, un territoire minuscule ne couvrant que quelques arpents. C’est ainsi que fut créée la réserve de Pikogan. En 1955, l’ouverture du Pensionnat indien de St-Marc-de-Figuery, près d’Amos, sonna le glas au nomadisme et accéléra la sédentarisation définitive des Abitibiwinnik. C’est en raison des promesses non tenues du gouvernement fédéral et du refus du Québec de reconnaitre les droits des Abitibiwinnik et de participer aux négociations, que les Algonquins de Pikogan, qui ont jadis adhéré au Traité no 9, se questionnent aujourd’hui sur sa validité. Les Abitibiwinnik du côté de l’Ontario ont obtenu les terres promises. Ceux du Québec, sur les 34 milles carrés de teres promises, n’auront finalement obtenu qu’un tout petit territoire de tout au plus un mille carré.

En 1996, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada a désigné le site de la Pointe Apitipik lieu historique national.

Le Québec s’engage dans la voie des traités

En 1923, la signature du Traité no 9 couvrant la partie nord de l’Ontario, marquait la fin d’une époque. Pendant plus de cinquante ans, aucun nouveau traité ne sera conclu. La politique du gouvernement du Canada a consisté à ignorer les droits ancestraux. En 1973 cependant, un jugement de la Cour suprême du Canada (arrêt Calder) a obligé le fédéral à mettre un terme à cette politique et à conclure de nouveaux traités.

En 1975, après un long conflit politique et juridique entourant le développement hydroélectrique de la Baie-James, le Grand Conseil des Cris du Québec et L’Association des Inuits du Nouveau-Québec concluaient une entente avec le Gouvernement du Québec, le Gouvernement du Canada, et trois sociétés d’État, la Société de développement de la Baie-James, la Société d’énergie de la Baie-James et Hydro-Québec. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois devenait ainsi le premier traité de l’ère moderne mais aussi, le premier règlement à intervenir au Québec, en ce qui a trait aux terres et aux titres fonciers autochtones. En 1978, une entente de même nature intervenait avec les Naskapis de Schefferville sous le nom de Convention du Nord-Est québécois.

Cérémonie de signature, le 11 novembre 1975, de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Le chef cri Billy Diamond et le président de la Société Makivik, Charlie Watt sont entourés du Premier ministre Robert Bourassa, du ministre fédéral des Affaires indiennes, Judd Buchanan ainsi que de ministres du gouvernement du Québec et de représentants des sociétés d’état parties à l’entente.

Credit photo: J. Krieber, Archives nationales du Canada, PA 143013

Outre le versement d’indemnités financiè­res importantes, ces conventions ont prévu l’établissement d’un régime de chasse et pêche visant à mieux protéger les droits des Inuits, des Cris et des Naskapis. Des droits prioritaires ou même exclusifs leur ont été reconnus. Les ententes ont permis notamment l’établissement d’un programme innovateur de revenu annuel garanti pour les chasseurs et piégeurs. Les Autochtones signataires ont cherché, en particulier, à faire en sorte que le dévelop­pement des régions nordiques se fasse désormais en concertation avec les nations autochtones touchées. La protection de l’environnement, la faune et la flore ont fait l’objet de préoccupations spéciales et des comités conjoints ont été créés. La Convention de la Baie-James et du Nord québécois a donné lieu à l’application de mesures correctrices afin de réduire l’impact négatif des travaux liés au développement hydroélectrique. On y a prévu le déménagement de la communauté de Fort-George, les berges étant menacées d’érosion. Ces deux premiers grands traités de l’ère moderne ont favorisé la mise en place de plusieurs institutions. On désirait ainsi permettre aux Cris, aux Inuits et aux Naskapis d’exercer un meilleur contrôle de leur destin.

La persistance d’une vieille pratique coloniale

Traités anciens et traités modernes ne souffrent d’aucune comparaison, sauf sur un point fondamental. Tout comme les traités numérotés de la Confédération, ces deux conventions prévoient l’extinction préalable de tous les « droits, titres et intérêts » autochtones quels qu’ils soient sur les terres et dans les terres concernées. En échange de cette extinction de droits ancestraux, les nations signataires se sont vues reconnaître des droits et privilèges dont il est fait partiellement mention au paragraphe précédent. Jusqu’à maintenant, aucun règlement n’était possible si la partie autochtone refusait de se soumettre à la procédure d’extinction.

Les indemnités financières prévues à la Convention de la Baie-James et du Nord québécois ont permis aux autorités cries de développer des entreprises rentables telles Air Creebec.

Credit photo: Jimmy Sam, coll. MEQ

En 1978, la Commission québécoise des droits de la personne a dénoncé cette pratique d’extinction qu’elle jugeait contraire au droit à l’égalité. Elle a aussi remis en question le fait que la Convention de la Baie-James et du Nord québécois éteignait en plus les droits fonciers de nations qui n’étaient pas partie à l’entente mais dont les terres ancestrales chevauchent le territoire visé (Algonquins, Atikamekw, Innus du Québec et du Labrador et Inuits du Labrador). La Commission royale sur les peuples autochtones a recommandé l’abandon de cette pratique d’extinction. Il y a quelques années, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies jugeait cette pratique incompatible avec l’article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui assure le droit inaliénable de tous les peuples de disposer d’eux-mêmes et de disposer librement de leurs richesses naturelles (Nations Unies, 1999).

Les traités d’aujourd’hui représentent une occasion unique de rétablir la dignité des premiers peuples, de corriger certaines erreurs du passé et d’entrevoir un avenir commun dans la paix et l’harmonie. D’autres développements récents semblaient indiquer que nous allions dans la bonne voie. Toutefois, le piétinement des négociations actuelles, au Québec, préoccupe grandement les Premières Nations concernées.

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