Des vues opposées sur les termes des traités

Dans l’esprit du gouvernement, les traités avaient pour objectif d’éliminer tout obstacle susceptible d’entraver la venue de colons, le défrichement des terres arables et le développement des ressources à l’ouest des Grands Lacs. Les Indiens devaient également être incités à abandonner graduellement leur mode de vie et à s’assimiler en adoptant l’agriculture. Du côté autochtone, une pré­occupation était omniprésente dans toutes les discussions, celle de préserver leur mode de vie. Et c’était bien normal. Les parties aux traités avaient donc des vues complètement opposées sur les termes du document et ses objectifs. D’abord, les notions même de propriété privée et de cession de droits étaient complètement étrangères aux sociétés autochtones. Chez ces sociétés, les notions relatives à la terre font plutôt référence à un lien de responsabilité et de gardiennage à l’égard du territoire. La terre, elle, n’appartient à personne. « Comment pourrait-on céder ou vendre ce qui n’appartient à personne? »

Cérémonie annuelle du paiement du traité, soit la remise d’une somme de 4 ou 5 dollars par année au bénéfice des membres des Premières Nations signataires des traités et de leurs descendants. Lieu inconnu, Canada, 1949.

Credit photo: The Baltimore Sun, Tribune Photo Archives, coll. Pierre Lepage

Le chef Moonias présent en 1905 pour la signature du traité no 9 à Fort Hope, Ontario, demeure sceptique quant aux promesses des commissaires du traité.

Credit photo: Archives nationales du Canada, PA 59534

Les traités numérotés, des doutes sur un consentement libre et éclairé de la partie autochtone

Plusieurs facteurs permettent de croire que le consentement de la partie autochtone à certains traités a pu être vicié. Le premier motif est évidemment l’inexistence du concept de propriété privée dans les conceptions autochtones traditionnelles des relations entre l’humain et la terre. Ainsi, il était nécessaire pour les commissaires gouvernementaux d’expliquer en détail quelle était la signification d’une cession de territoire. Or cela ne semble pas avoir été fait. Lors des négociations, l’accent a souvent été mis sur le droit illimité de chasser et de pêcher et sur le maintien du mode de vie des Autochtones. Une étude menée auprès d’anciens des tribus de l’Alberta a démontré que les Autochtones ne comprenaient peu ou pas la signification de la cession de territoire. Une décision judiciaire audacieuse a même déjà tenu compte de cette possibilité de « failure in the meetings of the minds ». Par ailleurs, une commission mise sur pied en 1957 pour enquêter sur la mise en œuvre des traités no 8 et 11 a conclu que les Autochtones ne comprenaient pas le contenu de ces traités, notamment à cause d’une très mauvaise traduction des négociations et de la confiance que leur avait inspirée la présence des prêtres et de fonctionnaires hautement respectés. Même à cette époque relativement récente, les commissaires ont dû constater que les Autochtones ne savaient pas différencier le droit de chasse du droit de propriété de la terre. Puisque les négociateurs avaient assuré les Autochtones qu’ils pourraient toujours continuer à chasser, on peut inférer qu’il existe une distorsion majeure entre la compréhension autochtone et la compréhension européenne de ces traités. D’autres irrégularités semblent également avoir été commises, comme la désignation de chefs autochtones par les commissaires gouvernementaux et non par les Autochtones eux-mêmes. Il va sans dire que les individus choisis étaient favorables à la conclusion d’un traité favorable à la Couronne.

Grammond, 1995 : 107-108

Dans son rapport rendu public en 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones en arrive à la conclusion que les « comptes rendus des négociations qui ont mené à la conclusion des traités historiques sont truffés de malentendus et de contradictions ». Quant aux promesses verbales faites par les représentants du gouvernement lors des négociations, les preuves historiques sont indéniables : « les textes des traités ne sont pas la reproduction complète et fidèle des ententes conclues ». En somme, il est tout à fait douteux que les conditions essentielles à une vraie négociation et à un consentement libre et éclairé des diverses nations autochtones aient été réunies. Et au Québec, a-t-on fait mieux?

La fameuse médaille d’argent remise à chaque chef et aux conseillers signataires des traités numérotés. À l’endos, l’effigie de la Reine Victoria.

Credit photo: Archives nationales du Canada, PA 123917

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