Sous le titre Un déluge d’informations souvent inutiles l’anthropologue Serge Bouchard avait très bien résumé l’enflure médiatique qui a marqué la célèbre Crise d’Oka au cours de l’été 1990 : « Nous le savions sur l’heure lorsqu’un Warrior (un guerrier mohawk masqué et armé) digérait mal son souper mais nous restions sur notre faim sur les enjeux inexpliqués. » (Bouchard 1990 : B-3) Comment comprendre l’émergence de cette crise qui a marqué le Québec tout entier?
Au petit matin du 11 juillet 1990, la Sûreté du Québec lança une opération policière d’envergure dans la pinède d’Oka située à proximité du Club de Golf. Le but de l’opération était d’y déloger des protestataires mohawks, qui s’opposaient à l’agrandissement du golf (de 9 à 18 trous) et à la construction de maisons de luxe en bordure. Par solidarité, des Mohawks de Kahnawake ont aussitôt bloqué le Pont Honoré-Mercier, un lien névralgique pour des milliers d’automobilistes qui se rendaient quotidiennement au travail dans la grande région de Montréal. Du côté d’Oka, après des ultimatums et quelques heures d’attente, l’escouade tactique de la Sûreté du Québec a reçu l’ordre de lever les barricades mohawks. (Trudel, 2009) La violence a éclaté aussitôt. Un échange nourri de coups de feu s’en est suivi et un policier, le caporal Marcel Lemay, y a perdu la vie. La Sûreté du Québec a dû battre en retraite. Ce fut la crise. Une crise majeure, hautement médiatisée, qui allait trouver son dénouement le 26 septembre suivant, suite à l’intervention de l’armée canadienne.
Ce 11 juillet 1990, la société québécoise ignorait qu’elle assistait à l’aboutissement dramatique d’un litige territorial vieux de plus de 200 ans. (Rochon et Lepage, 1991)
Un litige relatif à la propriété des terres de la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes
Pour comprendre la profondeur et la nature du litige, il faut remonter jusqu’au Régime français
Au Québec, on reconnaît l’existence de 11 nations autochtones : Abénaquis (Waban-Aki), Algonquins (Anishnabeg), Atikamekw Nehirowisiwok, Cris (Eeyou), Hurons-Wendat, Inuit, Malécites (Wolastoqiyik), Mi’gmaq (Micmacs), Mohawks (Kanien’kehá:ka), Innus (Montagnais) et Naskapis. Dans tout le Canada, on parle de près d’une soixantaine de nations autochtones.
Lors de la création de la seigneurie, la possibilité de donner une partie des terres en propriété aux Autochtones et une autre partie aux Sulpiciens a été nettement envisagée. (Boileau, 1991 : 98) Les Sulpiciens s’y sont opposé, avec pour résultat, une concession seigneuriale dont les titres de propriété et d’usufruit n’étaient pas conformes aux promesses faites aux Autochtones. À la petite communauté
L’histoire d’une résistance
L’historien Serge Laurin, résume bien ce qui allait devenir un douloureux chapitre de l’histoire régionale quand il affirme :
Pendant plusieurs décennies, les Indiens
Indiensd’Oka conduits par les Iroquois de l’endroit mèneront une lutte farouche tant sur le plan légal que par certains actes de délinquance pour obliger la société blanche, ses gouvernements et les Sulpiciens, seigneurs en titre de Deux-Montagnes, à reconnaître leurs droits de propriété sur cette seigneurie, ses terres, ses bois et ses richesses.Le mot Indien est toujours utilisé juridiquement pour désigner les personnes ayant un statut d’Indien dans le cadre de la Loi sur les Indiens, toujours en vigueur au Canada. Il s’agit cependant d’un terme désuet qu’il y a lieu de remplacer par Première Nation ou membre d’une Première Nation.
Après l’abolition du régime seigneurial, les Sulpiciens se sont départis d’une grande partie des terres de la Seigneurie. La vente des terres s’est accélérée autour de 1870 suite à une escalade dans les conflits et au départ des Algonquins pour le nouvel établissement de rivière Désert (Maniwaki). En 1912, un jugement du Conseil privé de Londres qui a reconfirmé les droits du Séminaire de Saint-Sulpice, n’a pas mis fin au litige. Finalement, en 1936, une bonne partie des terres de la Seigneurie a été vendue à la Compagnie immobilière belgo-canadienne. Jamais cependant les Autochtones n’ont cessé d’affirmer que ces terres leur étaient destinées et qu’en vertu de leur responsabilité fiduciaire, les Sulpiciens n’avaient pas le droit d’aliéner leurs biens, de vendre ce qu’ils estimaient être leurs terres.
Une base territoriale morcelée
En 1945, le gouvernement du Canada a récupéré une bonne partie de ce qui restait des terres de l’ancienne Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes qui n’avaient pas été vendues par les Sulpiciens dans les années 30. Les Autochtones ont été autorisés à y demeurer et à y exercer un certain nombre d’activités. Ils se sont vus remettre un titre individuel équivalent à un « certificat de possession ». Mais ces terres n’ont jamais eu le statut d’une réserve indienne en vertu de la Loi sur les Indiens, privant ainsi le conseil de bande
Dans les années 1980, malgré le rejet de deux demandes de revendications territoriales de la part des Mohawks, le ministre des Affaires indiennes a tout de même reconnu la responsabilité morale du gouvernement fédéral d’établir une meilleure base territoriale pour les Mohawks d’Oka et amorcé un programme de rachat des terres. Les terres de la Commune d’Oka, traditionnellement utilisées par la communauté mohawk, étaient particulièrement ciblées dans la démarche. C’est précisément sur ces terres que la municipalité du Village d’Oka a entrepris le projet d’agrandissement de son terrain de golf et la construction de maisons de luxe, donnant lieu aux événements de l’été 1990.
Finalement en 2008, soit 18 ans après la crise, le gouvernement fédéral a admis qu’il avait failli à sa responsabilité fiduciaire et qu’il aurait dû empêcher les Sulpiciens de s’accaparer et de vendre dans les années 1930 les terres de la Commune d’Oka utilisées par les Autochtones et qui étaient au cœur du litige territorial de l’été 1990. (MAINC, 14 avril 2008 : Lettre adressée au Grand chef Stevens Bonspille et au Chef Clarence Simon). Cet aveu du gouvernement fédéral a eu le mérite d’ouvrir les discussions en vue d’un règlement à tout le moins partiel du litige. Ces discussions se poursuivent toujours.