Un réveil brutal et des blessures profondes

La crise d’Oka a laissé des blessures profondes au sein de la société québécoise tout comme au sein des communautés mohawks et chez les Autochtones en général. Il faut se souvenir d’abord qu’un policier a perdu la vie dans l’exercice de ses fonctions et que les communautés de Kanesatake et de Kahnawake ont vécu un état de siège pendant plus de deux mois. Tout le tissu social de ces communautés a été profondément touché. La présence en face à face de policiers et des guerriers fortement armés, ainsi que le déploiement de l’armée canadienne et de véhicules blindés ont donné aux événements l’allure d’un climat d’insurrection et d’état de guerre dont le dénouement était tout à fait incertain.

Le blocage du Pont Honoré-Mercier a duré 56 jours, perturbant la circulation de milliers d’automo­bilistes. Alors que les nombreuses tentatives de négociations en vue d’un règlement pacifique du conflit n’aboutissaient à aucun résultat, le Québec a été témoin de manifestations quotidiennes de citoyens en colère et de débordements, en particulier dans des émissions radiophoniques de lignes ouvertes.

Les divisions au sein même de la nation mohawk et de la communauté autochtone d’Oka et l’emphase mise sur la souveraineté de la nation au détriment du litige sur les terres à Oka rendaient pratiquement impossible la conclusion d’une entente. Dans une entrevue accordée à l’anthropologue Pierre Trudel, un ancien guerrier mohawk de Kanesatake, Clifton Nicholas, qui était âgé de 18 ans à l’époque, affirme ce qui suit avec le recul du temps :

Il est vrai qu’à la table des négociations, on a perdu de vue la question du développement du golf et que certains mettaient l’emphase sur la souveraineté… Je comprends que les nôtres voulaient tirer profit de cette visibilité quotidienne et faire la promotion de la souveraineté; il s’agissait aussi de donner un sens politique à nos actions.

Nicholas et Trudel, 2017

Pourtant au lendemain du déclenchement de la crise, au début de juillet 1990, une majorité de Québécois manifestaient une certaine sympathie à la cause des Mohawks. Au fil du temps, l’échec des négociations a de toute évidence contribué à exacerber les tensions entre Autochtones et non-Autochtones. En outre, la crise a donné lieu à des actes de violence et à des événements dramatiques inacceptables. Le 28 août 1990, des voitures transportant des femmes, des enfants et des personnes âgées qui cherchaient à quitter Kahnawake ont été lapidées par des manifestants non-Autochtones en colère. Plusieurs personnes ont été blessées et, ce qui est peu connu, un résident de Kahnawake âgé de 71 ans, monsieur Joseph Armstrong, qui a reçu une pierre à la poitrine, est décédé le jour suivant d’un infarctus, (St-Amand, 2015 : 63) une deuxième perte de vie découlant de cette crise historique. En somme les victimes de la Crise d’Oka ont été multiples et les coûts humains inestimables. Mais plus que tout, la crise d’Oka aura constitué un terreau fertile au développement d’une perception populaire négative envers les peuples autochtones basée sur la méconnaissance des enjeux même du conflit et de la situation de ces peuples en général.

Avant la crise de l’été 1990, la question autochtone ne suscitait que peu, voire aucun intérêt dans le grand public. Malgré l’enflure médiatique qui l’a accompagnée, cette période difficile aura certainement sonné l’éveil du Québec à l’égard des Premiers Peuples partageant le territoire. Cette crise aura suscité de nombreuses prises de conscience au sein de la population tout comme au sein des élites politiques. N’oublions pas que c’est dans la foulée de la Crise d’Oka que le gouvernement fédéral a mis sur pied la Commission royale sur les peuples autochtones. La crise a aussi engendré de multiples initiatives de rapprochement entre la société québécoise et les Premières Nations comme nous le verrons dans les derniers chapitres.

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