Proclamation royale et documents d’époque

La Proclamation royale de 1763 est, en fait, la première constitution du pays. Une constitution, c’est un ensemble de textes fondamentaux qui déterminent la forme du gouvernement d’un pays. C’est donc là que nous retrouvons le fondement ou les bases historiques de nos relations avec les peuples autochtones. Aux yeux des Britanniques, ces peuples avaient une importance primordiale. C’est pour cette raison que plus du tiers de la Proclamation traite en détail des relations avec eux.

D’ailleurs les plus hauts tribunaux du pays ont souvent fait référence à cette Proclamation comme étant la « Magna Carta », la Grande Char­te des droits des Autochtones. Bien des chefs autochtones l’ont aussi considérée dans les mêmes termes.

La Province de Québec, selon la Proclamation royale du 7 octobre 1763.

Credit photo: Carte de Jonathan Carver, publiée dans The American Atlas, Londres, 1782.

Si certaines dispositions de cet édit royal ne sont plus valides aujourd’hui (la délimitation de la colonie de Québec telle qu’elle existait en 1763, par exemple), les clauses relatives aux Autochtones, elles, n’ont jamais été abolies. Elles ont donc, dans le jargon juridique, toujours force de loi au Canada. Or les traités, dont nous reparlerons plus loin, découlent en bonne partie de directives exprimées par le roi dans ce document officiel.

Vu l’importance du document, rien d’étonnant que des textes récents y fassent référence. La Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982, par exemple, parle des « droits et libertés issus de la Proclamation royale de 1763 » et des « droits et libertés issus de traités » (art. 25). De son côté, la Constitution canadienne de 1982 reconnaît et confirme les « droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada… » (partie II de la Constitution).

En somme ces documents d’époque, aussi vieux soient-ils, gardent toute leur actualité. Des documents récents confirment leur valeur et leur importance. Ce n’est donc pas par opportunisme que les Autochtones y font référence. Il s’agit du fondement constitutionnel de nos relations avec eux. N’ont-ils pas raison de nous rafraîchir la mémoire?

Mais qu’y a-t-il de si important dans le précieux document de 1763? La Proclamation reconnaît avant tout les peuples autochtones comme des sociétés organisées avec qui il faut négocier des traités. Les éléments-clés du document sont les suivants : la reconnaissance d’un statut de « nations et tribus », donc des groupes politiquement distincts; la reconnaissance d’une responsabilité de « protection » de la part de la Couronne; l’établissement d’une procédure de « consentement » par traité lorsqu’il s’agit de coloniser les terres.

C’est ainsi que les vœux exprimés par le roi George III vont donner lieu à la conclusion de nombreux traités et d’actes de cession touchant les terres autochtones. C’est précisément ce qui va se passer après la création de la Confé­dération canadienne en 1867. Car la formation d’un si vaste pays ne pouvait être réalisée sans des négociations ou même une forme de consentement de la part des Premières Nations occupant le territoire. Nous verrons un peu plus loin que ce « consentement » fut très relatif, obtenu le plus souvent dans la confusion et la méprise. Quoi qu’il en soit, la construction du chemin de fer, la venue massive de colons d’est en ouest et le développement de certaines ressources nécessitaient la conclusion de traités.

N’oublions pas que les Autochtones ne sont pas les seuls à se référer à des documents très anciens pour affirmer leur caractère distinct. Pour les Québécois francophones en particulier, l’Acte de Québec de 1774 est une référence aussi importance dans l’histoire de leurs institutions politiques et juridiques que l’est, pour les Autochtones, la Proclamation royale de 1763. Rappelons-nous que, malgré la conquête anglaise, c’est l’Acte de Québec qui a assuré aux colonies canadiennes-françaises leur liberté de culte et a permis de rétablir en particulier les lois civiles françaises. Rien de mal, en somme, à bien connaître son histoire. Et c’est par la Proclamation royale de 1763 que fut créée la première colonie de Québec.

Extraits de la Proclamation royale
7 octobre 1763

… Attendu qu’il est juste, raisonnable et essentiel pour notre intérêt et la sécurité de nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec nous et qui vivent sous notre protection, la possession entière et paisible des parties de nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques unes d’entre elles comme territoires de chasse…

Attendu qu’il s’est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers, et afin d’empêcher qu’il ne se commette de telles irrégularités à l’avenir et de convaincre les sauvages de notre esprit de justice et de notre résolution bien arrêtée de faire disparaître tout sujet de mécontentement. Nous déclarons de l’avis de notre conseil privé, qu’il est strictement défendu à qui que ce soit d’acheter des sauvages des terres qui leur sont réservées dans les parties de nos colonies où nous avons cru à propos de permettre des établissements; cependant si quelques uns des sauvages, un jour ou l’autre, devenaient enclins à se départir desdites terres, elles ne pourront être achetées que pour nous, en notre nom, à une réunion publique ou à une assemblée des sauvages qui devra être convoquée à cette fin par le gouvernement ou le commandant en chef de la colonie dans laquelle elles se trouvent situées.

Proclamation royale de 1763 ; nous soulignons.

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