Une politique poursuivie sous le Régime anglais

Cette façon de se comporter sous le Régime français s’est perpétuée sous le Régime anglais. Les autorités britanniques avaient eux aussi recours depuis longtemps au même procédé. Une tradition de pactes d’amitié s’étaient développée dans les colonies de Nouvelle-Angleterre et de New York. Cette tradition était symbolisée par la « chaîne du Covenant », aussi appelée « chaîne d’alliance ». Encore aujourd’hui, des représentants mohawks et d’autres membres de la Confédération iroquoise nous rappellent cette alliance du début qui fut maintes fois renouvelée. Elle était fondée sur une relation d’égal en égal, de nation à nation.

Juste avant la Conquête, plusieurs traités de paix et d’amitié furent également conclus par les Britanniques, du côté de ce qui deviendra plus tard les provinces maritimes. Un traité conclu avec les Mi’gmaq de Nouvelle-Écosse, en 1752, renouvelait certaines promesses faites en 1725 et 1726, et affirmait leur « entière liberté de chasser et de pêcher comme de coutume ». Il y a quelques années à peine, la Cour suprême du Canada confirmait que ce document, si vieux soit-il, était toujours valide. Il s’agit d’un engagement solennel auquel les parties n’ont jamais renoncé. Il faut bien respecter sa parole!

De la même façon, du côté du Québec, la Nation huronne-wendat a remporté en 1990 une importante victoire devant les tribunaux. La Cour Suprême du Canada a reconnu qu’un document signé à Longueuil par le général James Murray au moment de la Conquête britannique en 1760, et qui garantissait à la Nation huronne-wendat le libre exercice de sa religion et de ses coutumes ainsi que la liberté de commerce avec les Anglais, avait valeur de traité au sens de la Loi sur les Indiens et avait donc préséance sur les lois provinciales d’application générale dont la Loi sur les Parcs.

La chaîne d’alliance

C’est lors des premiers contacts qui s’établirent entre les colons hollandais et les Indiens riverains de la région de l’Hudson que la tradition de la chaîne d’alliance s’institua. Dès 1618, ces deux groupes contractèrent une alliance, représentée par un navire hollandais attaché à un arbre, d’abord avec une corde et, plus tard, avec une chaîne de fer. La corde représentait une alliance d’égal à égal; le fer soulignait sa solidité. Même si les Agniers (NDLR : Mohawks) prirent la place des Indiens riverains et que les Britanniques remplacèrent les Hollandais, la chaîne d’alliance demeura le symbole de l’alliance politique dans la région. Mais la chaîne de fer fut encore raffinée dans le langage des pratiques cérémonielles et, dès le début du XVIIIe siècle, elle est devenue une chaîne d’argent.

Fredrickson et Gibb, 1980 : 10-11

En 1761, de « belles promesses » faites aux mi’gmaq

Protection et loyauté se tiennent comme les maillons d’une chaîne. Si un maillon cède, la chaîne est cassée. Vous devez, de votre côté, veiller à ce que cette chaîne demeure solidement soudée par votre fidélité et votre soumission au grand roi George III. Et alors vous pourrez être assurés que ce bras royal saura vous défendre.

En ma qualité de serviteur de Sa gracieuse majesté, honoré d’être associé à son gouvernement, je vous rencontre aujourd’hui en son nom royal pour recevoir, sur le roc inébranlable de la sincérité et de la fidélité, votre serment public d’allégeance, dans le but de bâtir avec vous une alliance de paix pour vous libérer des chaînes de l’esclavage et vous admettre dans le vaste et fertile domaine des libertés anglaises.

Les lois formeront comme un mur de protection autour de vos droits et de tout ce qui vous appartient. Si quiconque ose briser ce mur pour vous attaquer ou pour vous faire du mal, le poids des lois s’abattra sur lui comme une masse pour châtier son insoumission.

Jonathan, Belcher, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, s’adressant aux Mi’gmaq, à Halifax, en 1761, lors des cérémonies pour la reconduction du Traité de 1752.
Cité dans Richardson, 1992 : 40

Le climat d’incertitude créé par la Conquête de 1760 a aussi amené les autorités britanniques à mettre les bouchées doubles dans la conclusion de traités. Un personnage important, William Johnson, sera nommé surintendant des Affaires indiennes. Il multiplie les con­férences et tient des conseils qui aboutiront à de nombreux traités : Sweygatchy (août 1760), Caughnawaga (sep­tembre 1760), Fort Pitt (septembre 1760), Detroit (décembre 1760), Albany (juin 1761), Niagara (juillet 1761), puis de nouveau à Detroit (août-septembre 1761), Caughnawaga (juillet 1763). Ces rencontres donnent lieu à une intense ac­tivité diplomatique. Au Conseil de Niagara du 17 juillet au 4 août, par exemple, vingt-quatre Premières Nations sont présen­tes. On y signe de nombreux traités ou l’on renouvelle les anciennes alliances.

Indiens des environs de Québec.

Credit photo: Gravure, Augustin François Lemaitre, 1848, coll. Pierre Lepage

Le traité huron-britannique de 1760, toujours valide!

Le 9 mai 1982 les frères Régent, Konrad, Georges et Hugues Sioui de Wendake ont été accusés d’avoir coupé des arbres, d’avoir établi un campement et fait des feux dans le Parc national de la Jacques-Cartier situé non loin de la ville de Québec. Le gouvernement du Québec prétendait qu’ils avaient contrevenu à un règlement provincial adopté en vertu de la Loi sur les Parcs. Dans leur défense les accusés ont invoqué que le droit d’exercer leurs coutumes sur le territoire visé était protégé par un document signé à Longueuil par le général James Murray au moment de la Conquête britannique, en 1760. Jugés coupables par deux instances juridiques inférieures, les frères Sioui ont été acquittés par la Cour d’appel du Québec, puis par le plus haut tribunal, la Cour suprême du Canada dans une décision unanime. Des discussions se poursuivent tou­jours entre le Conseil de la Nation huronne-wendat et les gouvernements du Canada et du Québec sur la portée de ce jugement et l’application con­temporaine de ce traité.

Copie du document signé à Longueuil par le général James Murray le 5 septembre 1760 soit trois jours avant la capitulation de Montréal.

Credit photo: Archives du Conseil de la Nation huronne-wendat, collection François Vincent

Sous le Régime anglais cependant, tel que nous l’avons mentionné précédemment, la Proclamation royale de 1763 va marquer un point tournant dans la nature des accords conclus. Celle-ci va d’abord confirmer que les Autochtones ont un droit incontestable sur les terres. Une reconnaissance noir sur blanc! Toutefois, malgré la générosité apparente du document, les autorités coloniales s’en serviront comme outil de dépossession. Désormais, les traités deviendront le procédé utilisé par la Couronne pour éteindre les titres fonciers des premiers habitants. Cette extinction étant acquise, les territoires pourront alors être ouverts à la colonisation. Et la Couronne se réserve pour elle-même le droit de conclure des traités. Après « les traités de paix et d’amitié », une nouvelle générationde traités prendra forme, les « traités territoriaux ». Dans la section Un territoire à partager, nous verrons comment de nombreux traités visant spécifiquement un règlement sur les terres ont pu être conclus sur une partie importante du territoire canadien, mais pas au Québec à une exception près. Ce bref retour dans l’histoire nous permettra d’en savoir plus long sur l’origine des revendications territoriales actuelles et, surtout, d’en mieux saisir la portée. Mais auparavant, regardons de plus près de quelle façon la Couronne britannique et, plus tard, le Gouvernement canadien se sont acquittés de leur responsabilité d’assurer la « protection » des nations autochtones. Nous verrons qu’un glissement majeur s’est effectué dans l’administration des Affaires indiennes.

Les traités se multiplient au moment de la conquête anglaise

Ci-contre, un extrait d’un traité de paix et d’amitié conclu à Niagara, le 18 juillet 1764, entre les Hurons de Detroit et William Johnson, représentant de la Couronne britannique. Au moment de la Conquête de 1760, les autorités britanniques mettent les bouchées doubles en ce qui a trait à la conclusion de traités. William Johnson, nommé surintendant des Affaires indiennes, multiplie les conférences et les conseils qui aboutiront à de nombreux traités com­me celui-ci. Le document comporte cinq articles, qui tiennent sur quatre pages à peine.

Credit photo: Archives nationales du Canada, C 135290

La fédération des Sept Feux de la Vallée du Saint-Laurent

Une alliance politique incontournable

Au temps des régimes français et anglais du Canada, des Amérindiens du Québec forgent une singulière alliance politique connue par la tradition écrite euro-américaine comme étant les Sept Nations du Canada. Cette alliance regroupait les Amérindiens catholiques des villages de la vallée du Saint-Laurent : Wendake, Pointe-du-Lac, Wôlinak, Odanak, Kahnawake, Kanehsatake et Akwesasne. Cette Fédération représentait l’alliance entre les nations, c’est-à-dire entre les conseils ou gouvernements autochtones de chaque village. Le pacte était fédératif parce qu’il existait une organisation politique centrale, en l’occurrence le grand conseil de Kahnawake, et que celle-ci partageait diverses compétences avec les différentes nations membres. Les fédérés s’assuraient, en principe, à la fois d’une cohésion et d’une autonomie gouvernementale et cela, sans remettre en question l’identité des communautés alliées. Ainsi, lorsque ces Amérindiens se réfèrent à la Fédération, ils font appel à l’unité et à une représentation commune. L’organisation politique des Amérindiens du Québec se structure au XVIIe siècle, vers 1660. L’alliance sera rompue au XIXe siècle, vers 1860.

Sawaya, 1998 : 14

L’ouvrage de l’historien Jean-Pierre Sawaya (1998) nous révèle cette facette peu connue de l’histoire politique des Premières Nations. La Fédération des Sept Feux regroupe les « sauvages domiciliés », ainsi nommés sous le Régime français, c’est-à-dire les Amérindiens des missions établies à proximité de Montréal, Trois-Rivières et Québec. Dans cette alliance, le « grand feu de Kahnawake » occupait une position centrale assurant « le leadership des relations politiques et diplomatiques avec les autres gouvernements du nord-est de l’Amérique » (ibid. : 167). La Fédération joue un rôle incontestable, notamment dans le règlement de plusieurs conflits de nature territoriale. Sur le plan interne, les nations membres se servent aussi de la Fédération pour le règlement de leurs propres litiges. C’est en particulier le cas du « partage territorial entre fédérés » et de l’utilisation respective des territoires de chasse et des ressources. Quant à l’importance réelle de cette fédération, le chercheur a « constaté que les Sept Feux ont entretenu des relations politiques et diplomatiques constantes d’abord avec les Français, puis avec les Britanniques mais aussi avec la Fédération des Wabanakis, la Confédération des Six-Nations iroquoises et les différentes fédérations des Grands Lacs » (ibid. : 167).

Une rue de Kahnawake (autrefois appelé Caughnawaga) au début du siècle.

Credit photo: Carte postale, coll. Pierre Lepage

Membres des Premières Nations du Bas-Canada.

Credit photo: Th. Kammere d’après C. Krieghoff (A. Borum), Archives nationales du Québec à Québec

Des archives des Premières Nations

Les colliers de wampum étaient utilisés comme documents officiels d’archives. Ils servaient à officialiser les traités entre Premières Nations ou ceux que celles-ci concluaient avec les nations européennes. Ils étaient utilisés également pour marquer divers événements de la vie sociale et politique des Autochtones. Le wampum est une perle fabriquée à partir de coquillages marins. C’est par extension que l’on appelle aussi wampums les colliers, ceintures et autres objets réalisés avec ces perles.

La couleur des perles utilisées, le nombre de rangées, leur longueur ainsi que les symboles et les motifs reproduits, tous ces éléments ont leur signification pro­-pre. Ces véritables pièces d’archives des Premières Nations sont aussi gardées précieusement. Au sein de la Fédération des Sept Feux de la vallée du Saint-Laurent par exemple, Kahnawake agissait à titre de « gardien » des wampums (Sawaya, 1998 : 113). Des colliers de wampum peuvent aussi être gardés par des individus à qui on a transmis le pouvoir d’interpréter ces ententes ou ces faits historiques. C’est le cas de l’aîné William Commanda, un Algonquin de Kitigan Zibi (Maniwaki) qui a eu en sa possession, jusqu’à son décès en 2011, trois colliers de wampum. Il était investi du titre de « gardien des wampums ».

William Commanda (à droite sur la photo) expliquant la signification d’un des colliers de wampum en sa possession, à l’occasion d’un rassemblement en 2009 à Kitigan Zibi.

Credit photo: Pierre Lepage

Chefs des Six Nations décrivant la signification de plusieurs colliers de wampum en leur possession.

Credit photo: Archives nationales du Canada, C 85137

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