À bien des égards, l’influence était réciproque, et sans doute cette influence mutuelle a-t-elle particulièrement contribué à la naissance d’une véritable identité canadienne, distincte de celle des Français métropolitains. L’adaptation à l’hiver, la connaissance de la géographie, de la flore, de la faune, l’apprentissage de la guérilla, voilà ce qui a longtemps assuré la supériorité des Canadiens sur les Britanniques en dépit de leur infériorité numérique (Delâge, 1991). Qui aurait cru que le « Canaïen » avait en lui autant d’amérindien?
Contributions et faits méconnus
Un Montagnais (Innu) originaire de la région de Schefferville a été honoré en 1985 pour sa participation à la découverte d’importants gisements de minerai de fer sur le plateau du Labrador. En effet, en 1937, Mathieu André, trappeur et chasseur de métier, rapportait au géologue J.A. Retty, des échantillons de minerai à haute teneur, recueillis lors de ses expéditions de chasse. Une intense activité de prospection allait suivre, encouragée par la poussée industrielle de la Deuxième Guerre mondiale et en 1947, un autre Innu, Pierre Mckenzie permet la localisation du gisement de Schefferville situé sur le territoire de chasse de sa famille. En 1950, la compagnie Iron Ore entreprend la construction de la ville minière de Schefferville. La même année, l’IOC amorce la construction d’un chemin de fer de 600 kilomètres pour acheminer le minerai entre Schefferville et le port de Sept-Îles. Là aussi, plusieurs Amérindiens sont mis à contribution, « pour les premiers travaux d’arpentage et de défrichage dans cette région qu’ils connaissent à perfection » (Radio-Québec, 1984 : 39-40).
Durant les années 1950, ces découvertes et l’exploitation d’importants gisements de fer sur la Côte-Nord et au Labrador justifieront même la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. Ainsi, le Québec, mais aussi plusieurs villes industrielles des Grands Lacs allaient connaître une prospérité enviable.
Les explorations, la découverte du territoire et de ses ressources n’auraient pu être réalisées sans la contribution des autochtones
Au Québec, on reconnaît l’existence de 11 nations autochtones : Abénaquis (Waban-Aki), Algonquins (Anishnabeg), Atikamekw Nehirowisiwok, Cris (Eeyou), Hurons-Wendat, Inuit, Malécites (Wolastoqiyik), Mi’gmaq (Micmacs), Mohawks (Kanien’kehá:ka), Innus (Montagnais) et Naskapis. Dans tout le Canada, on parle de près d’une soixantaine de nations autochtones.
Et nous sommes peut-être beaucoup plus redevables que nous le pensons aux Premières Nations
Ainsi une personne dira : Je suis de la Première nation naskapie de Kawawachikamach, ou je suis de la Première nation Atikamekw de Manawan ou Première nation Mohawk d’Akwesasne etc. marquant ainsi à la fois sa nation d’appartenance et son lieu d’origine ou de résidence.
En matière de protocole diplomatique, on aurait tort de penser que les Français et les Anglais ont pu imposer leur propre façon de faire aux nations autochtones. L’histoire nous montre que, contrairement aux idées reçues, le protocole diplomatique qui a longtemps régi les relations entre Européens et Premières Nations est demeuré essentiellement de nature autochtone, même s’il a subi quelques modifications. Cela fut particulièrement évident lors de la signature de la « Grande Paix de Montréal », un grand moment des relations franco-amérindiennes. À la conclusion de ce traité
Au Canada, dans les relations avec les peuples autochtones, il existe deux types de traités : ceux dits de paix et d’amitié et ceux dits territoriaux, c’est-à-dire ceux touchant plus spécifiquement les terres et les titres fonciers.
Dans l’esprit du gouvernement, les traités territoriaux avaient pour objectif d’éliminer tout obstacle à la colonisation et d’inciter les membres des Premières Nations à abandonner leurs terres, leurs modes de vie et à s’assimiler.
Plantes médicinales : le thé du labrador sous la loupe des chercheurs
Dans une entrevue qu’il accordait à la journaliste Chantale Potvin du journal Innuvelle, le professeur Pierre Haddad du département de pharmacologie de la faculté de médecine de l’Université de Montréal affirme que « pour conter les effets dévastateurs du diabète, les plantes les plus aptes à réguler le transport du glucose dans les parois intestinale sont le thé du Labrador mais aussi les cônes d’épinettes noires ».
Étudiante à la maîtrise du même département, Lisia Nistor Baldea, s’est intéressée à la façon dont les Cris de la Baie-James traitent, en médecine traditionnelle, les symptômes habituels associés au diabète. L’étude a permis d’identifier 17 plantes qui ont été soumises à des tests in vitro pour vérifier si elles allaient permettre d’abaisser le taux de sucre dans le sang. Le résultat en étonnera plusieurs : « Sept de ces plantes ont donné des résultats comparables, ou même légèrement supérieurs, aux médicaments chimiques. »…« Après d’autres tests sur des animaux avec ces plantes, le thé du Labrador, tout de suite avant les cônes d’épinettes noires, s’est nettement démarqué. »…« Elles diminuent l’absorption du glucose d’environ 50 %, un taux du même ordre qu’avec la phlorizine, un médicament utilisé pour traiter le diabète et l’hyperglycémie », de conclure M. Haddad. Voilà une excellente nouvelle! (Potvin, 2011 : 12)
Avant l’arrivée des Européens, les sociétés autochtones étaient des sociétés organisées qui possédaient un système politique et un système complexe d’échanges commerciaux. Les sociétés autochtones n’étaient – et ne sont toujours – ni inférieures ni supérieures aux autres. Elles ont leur génie propre. Une méconnaissance de ces sociétés nous a longtemps empêchés d’en évaluer la grandeur et la complexité. C’est le cas du mode d’occupation des terres, de la relation intime que ces sociétés entretiennent avec la terre, de la connaissance de la faune et de la flore – et quoi encore…
Ce que nous devons aux Premières Nations
Démocratie et égalité
La notion moderne de démocratie, fondée sur les principes d’égalité et sur un État composé de pouvoirs distincts, est le produit du mélange des idées politiques et des institutions européennes et indiennes
indiennesqui fonctionnaient sur la côte Atlantique de 1607 à 1776. La démocratie moderne que nous connaissons aujourd’hui est davantage l’héritage des Amérindiens, et particulièrement des Iroquois et des Algonquiens, que celui des immigrants anglais, de la théorie politique française, ou de tous les vains efforts des Grecs et des Romains.Le mot Indien est toujours utilisé juridiquement pour désigner les personnes ayant un statut d’Indien dans le cadre de la Loi sur les Indiens, toujours en vigueur au Canada. Il s’agit cependant d’un terme désuet qu’il y a lieu de remplacer par Première Nation ou membre d’une Première Nation.
Esprit sportif
Chez les Amérindiens, la tradition sportive remonte à très loin, et les prouesses athlétiques ont toujours été une source de fierté. À l’arrivée des Européens sur le continent, les autochtones pratiquaient des centaines de jeu en plein air, dont certains pouvaient compter jusqu’à 200 participants…
Warren Lowes affirme d’ailleurs que les Européens développèrent leur amour du sport et de la saine compétition au contact des autochtones. Sans aller jusque-là, force est de constater qu’avant les voyages de Colomb, les Européens pratiquaient des sports fort différents de ceux qu’ils pratiquent aujourd’hui. Avant la « découverte » des Amériques, l’Europe connaissait principalement trois types de jeux : les jeux intellectuels – échecs, cartes, charades, dames – qui procuraient une stimulation mentale; les jeux nécessitant de la dextérité physique – escrime, tir à l’arc, lancer du javelot – et qui étaient reliés de très près à l’art de la guerre; et les jeux impliquant une domination de l’homme sur l’animal, comme la chasse à courre ou les combats de chiens, de coqs et d’autres animaux.
C’est pourquoi les premiers observateurs européens furent très surpris par la façon dont les Amérindiens meublaient leurs heures de loisir. Le nombre et surtout l’ardeur des participants, de même que l’atmosphère d’excitation et de joie collective entourant chaque événement sportif, ne manquèrent pas de les impressionner. Des colons suivirent leur exemple et apprirent ainsi à développer un esprit d’équipe qui était peu valorisé dans les jeux européens.
Il est donc vrai d’affirmer que les Nord-Américains doivent en partie leur amour du grand air et de la compétition sportive à leurs compagnons amérindiens.
Trente-trois ouvriers mohawks périssent dans l’effondrement du pont de Québec
Le 29 août 1907, le pont de Québec, alors en construction, s’effondre. Soixante-seize ouvriers perdent la vie dans la catastrophe. Parmi eux, trente-trois sont des Mohawks de Caughnawaga (aujourd’hui Kahnawake), vingt-six sont des Canadiens et dix-sept sont des Américains (L’Hébreux, 1986 : 61-63).
Réputés pour la construction des structures d’acier en hauteur, les Mohawks ont participé à la plupart des grands chantiers en Amérique du Nord : le pont Victoria à Montréal, le pont de Québec, l’Empire State Building et le World Trade Centre à New-York et bien d’autres. Voilà une contribution qui mérite d’être mieux connue.
Dans un livre consacré à l’histoire du pont de Québec, un ouvrier de la première heure témoigne de la bonne réputation des travailleurs mokawks et de leurs familles :
J’ai connu plusieurs Indiens qui ont travaillé au pont. Une quinzaine de familles passaient l’été chez nous à New-Liverpool et ils étaient du bon monde. Les Indiens jouissaient d’une excellente réputation et étaient de bons travaillants. Même s’il se vendait beaucoup de boisson à l’époque, ils faisaient preuve d’une sobriété exemplaire.
Les Indiens d’aujourd’hui ont raison d’être fiers de leurs ancêtres.
L’apprentissage du mépris : les manuels d’histoire d’autrefois
Jusqu’aux années 60-70, les manuels d’histoire diffusés dans les écoles québécoises véhiculaient une image peu reluisante des peuples autochtones. C’est le cas en particulier du manuel rédigé par les pères Farley et Lamarche et qui a connu un grand succès au Québec. « Leur histoire du Canada a été lue pendant plus de trente ans par des milliers d’élèves… » (Smith, 1979 : 87)
Portrait du sauvage
Le sauvage américain était d’ordinaire fortement constitué au physique. Sa taille était élevée, ses muscles vigoureux, ses sens doués d’une grande acuité. Malgré la dureté de ses traits et l’aspect osseux de sa figure, il présentait souvent dans l’ensemble une belle apparence. Il se peignait le corps et la figure de dessins bizarres, qu’il faisait adhérer à la peau au moyen de procédés souvent très douloureux. Ce tatouage servait d’ornement et protégeait contre le froid.
Au moral, le sauvage possédait certaines qualités peu profondes, qui le firent cependant apprécier des blancs. Ainsi il endurait volontiers les privations, le froid, la faim; devant la mort il manifestait souvent un courage digne d’admiration. Il exerçait l’hospitalité de la manière la plus cordiale. Il se montrait sensible aux misères et aux souffrances de ses voisins; il leur offrait volontiers le secours de ses propres biens.
Mais ces qualités ne pouvaient faire oublier les défauts les plus graves. Le sauvage avait en effet un orgueil sans bornes. Il se croyait nettement supérieur aux blancs et cette disposition d’esprit l’empêcha souvent d’accepter la civilisation et l’Évangile…
… Le sauvage était sensuel. Il se livrait facilement à la débauche. Son goût pour les boissons alcooliques fut encore un des principaux obstacles à l’action des missionnaires. Enfin, il était sans force morale, sans caractère…
Publié pour la première fois en 1934, ce manuel était devenu en 1944 pratiquement la seule Histoire du Canada employée dans les classes avancées du secondaire.
Jusqu’aux années 60-70, L’Histoire du Canada des pères Farley et Lamarche constituait donc « Le manuel d’histoire par excellence ». L’extrait que nous venons de citer, en dit long sur le mépris qui y était véhiculé et sur la profondeur de l’ignorance manifestée à l’égard des premiers peuples.
Au moment de la conquête anglaise, les autorités britanniques ont reconnu l’importance des Autochtones sur le plan militaire et stratégique, de même que l’importance de maintenir, comme les Français l’avaient fait, de bonnes relations avec eux. C’était la seule façon d’assurer la paix dans les colonies. Dans Des droits ancestraux à découvrir, nous verrons comment la première constitution du pays, la Proclamation royale de 1763, a confirmé que les nations autochtones jouissaient d’un statut particulier et de droits importants, qui ont une incidence jusqu’à nos jours.
Sentiment de supériorité?
Un chef mi’gmaq donne une leçon aux Français
Au père Le Clercq, qui s’est fait le porte-parole de certains Français en invitant les Mi’gmaq à se construire des maisons et à vivre à la française, le chef des Gaspésiens répond en ces termes :
« Je m’étonne fort que les Français aient si peu d’esprit qu’ils en font paraître dans ce que tu me viens de dire de leur part pour nous persuader de changer nos perches, nos écorces et nos cabanes en des maisons de pierre et de bois qui sont hautes et élevées, à ce qu’ils disent, comme ces arbres. Hé quoi donc! Pour des hommes de cinq à six pieds de hauteur, faut-il des maisons qui en aient soixante ou quatre-vingts? Car enfin, tu le sais bien toi, Patriarche, ne trouvons-nous pas dans les nôtres toutes les commodités et les avantages que vous avez chez vous, comme de coucher, de boire, de dormir, de manger et de nous divertir avec nos amis, quand nous voulons? »
Puis, s’adressant à l’un des Français présents :
« Ce n’est pas tout. Mon frère, as-tu autant d’adresse et d’esprit que les sauvages, qui portent avec eux leurs maisons et leurs cabanes pour se loger partout où bon leur semble, indépendamment de quelque seigneur que ce soit? Tu n’es pas aussi brave ni aussi vaillant que nous, puisque, quand tu voyages, tu ne peux porter sur tes épaules tes bâtiments ni tes édifices; ainsi, il faut que tu fasses autant de logis que tu changes de demeure, ou bien que tu loges dans une maison empruntée et qui ne t’appartient pas. Pour nous, nous nous trouvons à couvert de tous ces inconvénients et nous pouvons toujours dire plus véritablement que toi que nous sommes partout chez nous, parce que nous nous faisons facilement des cabanes partout où nous allons, sans demander permission à personne.
« Tu nous reproches assez mal à propos que notre pays est un petit enfer, par rapport à la France que tu compares au paradis terrestre, d’autant qu’elle te fournit, dis-tu, toutes sortes de provisions en abondance; tu nous dis encore que nous sommes les plus misérables et les plus malheu-reux de tous les hommes, vivant sans religion, sans civilité, sans honneur, sans société et, en un mot, sans aucune règle, comme des bêtes dans nos bois et dans nos forêts, privés du pain, du vin et de mille autres douceurs que, tu possèdes avec excès en Europe.
« Hé bien! mon frère si tu ne sais pas encore les véritables sentiments que nos sauvages ont de ton pays et toute ta nation, il est juste que je te l’apprenne aujourd’hui. Je te prie donc de croire que, tout misérables que nous paraissions à tes yeux, nous nous estimons cependant beaucoup plus heureux que toi, en ce que nous sommes très contents du peu que nous avons; et crois encore une fois, de grâce, que tu te trompes fort si tu prétends nous persuader que ton pays (est) meilleur que le nôtre. Car si la France, comme tu dis, est un petit paradis terrestre, as-tu de l’esprit de la quitter? Et pourquoi abandonner femme, enfants, parents et amis? Pourquoi risquer ta vie et tes biens tous les ans et te hasarder témérairement en quelque saison que ce soit aux orages et aux tempêtes de la mer, pour venir dans un pays étranger et barbare que tu estimes le plus pauvre et le plus malheureux du monde?
« Au reste, comme nous sommes entièrement convaincus du contraire, nous ne nous mettons guère en peine d’aller en France, parce que nous appréhendons avec justice d’y trouver bien peu de satisfaction, voyant par expérience que ceux qui en sont originaires en sortent tous les ans pour s’enrichir dans nos côtes. Nous croyons de plus que vous êtes incomparablement plus pauvres que nous et que vous n’êtes que de simples compagnons, des valets, des serviteurs et des esclaves, tout maîtres et tout grands capitaines que vous paraissiez, puisque vous faites trophée de nos vieilles guenilles et de nos méchants habits de castor qui ne nous peuvent plus servir, et que vous trouvez chez-nous, par la pêche de morue que vous faites en ces quartiers, de quoi soulager votre misère et la pauvreté qui vous accable. Quant à nous, nous trouvons toutes nos richesses et toutes nos commodités chez nous-mêmes, sans peines, et sans exposer nos vies aux dangers où vous vous trouvez tous les jours par de longues navigations; et nous admirons, en vous portant compassion dans la douceur de notre repos, les inquiétudes et les soins que vous vous donnez nuit et jour afin de charger votre navire; nous voyons même que tous vos gens ne vivent ordinairement que de la morue : morue au matin, morue à midi, morue au soir, et toujours morue; jusque-là même que, si vous souhaitez quelque bon morceau, c’est à nos dépens, et vous êtes obligés d’avoir recours aux sauvages que vous méprisez tant pour les prier d’aller à la chasse, afin de vous régaler.
« Or, maintenant, dis-moi donc un peu, si tu as de l’esprit, lequel des deux est le plus sage et le plus heureux : ou celui qui travaille sans cesse et qui n’amasse qu’avec beaucoup de peines de quoi vivre, ou celui qui se repose agréablement et qui trouve ce qui lui est nécessaire dans le plaisir de la chasse et de la pêche? Apprends donc, mon frère, une fois pour toutes, puisqu’il faut que je t’ouvre mon cœur, qu’il n’y a pas de sauvage qui ne s’estime infiniment plus heureux et plus puissant que les Français. »
(Le Clercq, sans date; cité dans Vachon, 1968 : 87-91)